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jadis d’ordinaire l’emprisonnement préventif. On imagina, pour remédier à cet inconvénient, un moyen qui donna naissance à un abus d’un autre genre, c’est ce qu’on appelait le plus ample informé. Le procès criminel ne se terminait pas toujours par l’acquittement ou la condamnation. La jurisprudence consacra l’usage de suspendre les poursuites et l’instruction quand les preuves faisaient défaut, avec la réserve de pouvoir reprendre le procès plus tard après plus ample information, si de nouvelles charges venaient à se produire ; et, quand il y avait une partie civile, afin d’obtenir son assentiment à cette suspension, on lui faisait adjuger les dépens par l’accusé pour les frais déjà faits. Lorsque le plus ample informé, au lieu d’être temporaire, était déclaré indéfini, usque quo, comme on disait en style du palais, le détenu pouvait obtenir sa mise en liberté, mais il était soumis à une surveillance constante ; une véritable épée de Damoclès restait suspendue sur sa tête, et sa situation était souvent pire qu’elle l’eût été, si, le terme de son procès étant à peu près fixé, il avait continué à être détenu.

Tandis que la prison n’était sous l’ancien régime pour la justice séculière qu’une peine accessoire jugée tout au plus suffisante au châtiment de simples méfaits, elle constituait dans la législation canonique le principal mode de punition temporelle, une telle peine se prêtant éminemment à la destination pénitentiaire que l’église voulait donner à toutes ses punitions ; elle permettait d’ailleurs de mieux assurer l’application des peines spirituelles qui formaient le fond de la pénalité ecclésiastique, car en prison le coupable était facilement soumis à la surveillance, sans laquelle on ne pouvait constater qu’il s’y soumettait. En des cas où le juge laïque eût prononcé la mort la plus terrible, le tribunal ecclésiastique condamnait à la réclusion perpétuelle et solitaire dans une cellule que l’on murait quelquefois comme signe de l’irrévocabilité de la sentence. Le prisonnier était là in pace, supplice affreux sans contredit et semblable au carcere duro de l’Italie, mais qui n’avait pourtant pas l’horreur des tourmens auxquels les tribunaux séculiers condamnaient les plus grands criminels. Aussi malgré la rigueur de la détention indéfinie en cellule que l’inquisition infligea souvent aux hérétiques, albigeois et autres, le prévenu préférait-il de beaucoup la justice de l’église à celle de la cour laie, d’autant plus que les officialités, même le tribunal du saint-office à Rome, ne se montraient pas toujours inflexibles. Ces juridictions ecclésiastiques sont loin d’avoir prononcé l’emprisonnement perpétuel dans tous les cas où la jurisprudence les y autorisait. L’histoire du capitaine de vaisseau marchand Pallas, que rapporte dans l’une de ses lettres le baron de Pöllnitz, nous en fournit la preuve. Le tribunal se contentait parfois d’un aveu et d’un repentir sincère. On s’explique donc