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fut décapité et jeté dans le Tibre, comme l’étaient dans l’ancienne Rome les corps des suppliciés après avoir été exposés aux gémonies. Cette procédure ridicule autant qu’odieuse persistait au XVIIe siècle. En 1604, un commis du ministre Villeroy, nommé Nicolas Lhote, prévenu d’avoir transmis au roi d’Espagne le secret des délibérations du conseil royal, se noya dans la Marne comme il cherchait à fuir. Son corps fut retrouvé et porté au Châtelet de Paris, où il fut embaumé ; on lui fit son procès, et le mort fut condamné à être traîné sur une claie, la face contre terre, puis tiré à quatre chevaux. En 1723, le Châtelet imaginait de faire faire encore le procès à un mort, un prisonnier du For-l’Evêque tué dans une lutte avec les archers qui le voulaient transférer d’une chambre en une autre. Le cadavre fut condamné à être traîné sur la claie et pendu et exécuté par arrêt de la tournelle en place de Grève.

Malgré l’iniquité qu’il y avait à faire retomber sur les enfans le crime du père, et sur le père le crime du fils, iniquité qui inspirait déjà ces belles paroles au jurisconsulte Callistrate, consignées au Digeste : Crimen vel pœna paterna nullam maculam filio infligere potest, il ne s’est pas écoulé beaucoup plus d’un siècle depuis qu’en France on frappait ainsi l’innocent. Sur les conclusions du procureur-général du parlement, un arrêt ordonna au père, à la mère et à la fille de Damiens de quitter pour toujours le royaume, à peine de mort s’ils y sont rencontrés. On enjoignit aux frères et sœurs du condamné de changer de nom. Un arrêt conçu à peu près dans les mêmes termes avait été rendu contre les parens de Ravaillac. Cette réversibilité du châtiment d’une génération à l’autre n’était toutefois admise que pour l’attentat de lèse-majesté au premier chef.

Quand il s’agissait de protéger la personne du prince et des siens, on se croyait tout permis, on faisait taire tout sentiment d’humanité et même d’honneur ; on acceptait comme preuve suffisante le seul aveu du criminel contre la maxime consacrée : Nemo auditur perire volens, l’on recevait des dépositions qui auraient été reprochables en d’autres causes, même celles des personnes infâmes. Le seul dessein d’accomplir le crime manifesté par quelque acte extérieur suffisait pour motiver une condamnation, et l’on se contentait pour la prononcer de simples indices réputés alors preuves. Ainsi l’avait établi une ordonnance de Louis XI, dont la soupçonneuse tyrannie ne croyait jamais trop faire pour mettre sa vie à couvert. Disons-le pourtant, en étendant aux enfans la condamnation du père, en s’en prenant au cadavre, en violant les lois de l’humanité et du bon sens pour les crimes de lèse-majesté, on restait dans l’esprit de la justice des temps passés ; on renchérissait sur le préjugé, persistant encore de nos jours, qui fait retomber sur une famille la honte, même l’infamie d’un de ses membres, et qui a sa raison dans des