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des crimes qui ne ressemblent guère à celui de lèse-majesté, la falsification du sceau royal, la levée arbitraire d’impôts, la fabrication de poudre de guerre et de canons sans permission du roi, même le péculat et la concussion. Les crimes du premier chef impliquaient la peine capitale et la confiscation des biens, mais la mort n’était pas nécessairement prononcée contre les crimes du second chef. Le législateur épuisa toutes ses rigueurs contre la première classe des crimes de lèse-majesté au premier chef ; ils entraînèrent, en vertu d’une ordonnance de Louis XI, demeurée en vigueur jusqu’à la révolution, la même peine pour les complices et les non-révélateurs que pour l’auteur principal.

Malgré ces distinctions, on voit que la peine de mort planait toujours sur la tête de quiconque faisait opposition aux volontés si souvent capricieuses des gouvernans. Tous les crimes que nous appelons aujourd’hui politiques pouvaient entraîner la peine de mort. La haine d’un ministre, la vengeance d’un prince, la perfidie ou la malveillance d’un rival puissant vous exposait à une accusation de crime de lèse-majesté. Les exemples abondent dans notre histoire de condamnations capitales contre des malheureux dont le gouvernement avait intérêt à se débarrasser, qu’il sacrifiait à la rancune d’une faction ou d’un homme en crédit. Ai-je besoin de rappeler la condamnation à mort d’Enguerrand de Marigny, victime sous Louis X de la haine de Charles de Valois et des barons ; celle de l’avocat-général Jean Desmarets, livré en holocauste au parti qui avait pris momentanément le dessus sous Charles VI ; celle du surintendant des finances, Jacques de Samblançay, lâchement sacrifié à la vengeance de la mère de François Ier ; enfin l’inique supplice de l’infortuné Lally. L’accusation de lèse-majesté était un moyen imaginé en vue d’épouvanter quiconque serait assez imprudent pour tenter de renouveler contre la royauté ces guerres et ces rébellions si communes au temps de la féodalité, et ce moyen, presque tous les souverains de l’Europe y recoururent. Partout on déploya la même rigueur ; de plus, la sentence rendue pour crime de lèse-majesté donnait immédiatement lieu à une proscription, car elle s’étendait aux enfans et aux père et mère du condamné ; on les bannissait du royaume. A Milan, on alla jusqu’à les mettre à mort. Le crime était regardé comme imprescriptible et pouvait être poursuivi même après le décès du coupable.

Dans le cas de lèse-majesté au premier chef, comme dans celui d’hérésie et de sacrilège, on en vint à faire le procès au cadavre de l’accusé, et l’on condamna sa mémoire ; c’était là un vieil usage. Déjà au Xe siècle, nous voyons Etienne VI faire faire au cadavre de son prédécesseur, Formose, un procès, parce que ce pape avait, avant son élection, changé de siège épiscopal ; le corps de Formose