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venus d’Allemagne et imbus des doctrines matérialistes et révolutionnaires accréditées au-delà du Rhin. Avant son organisation, quelques tentatives avaient été faites pour établir un lien entre les associations ouvrières américaines : une Union du travail national, ébauchée à Baltimore en 1866, n’eut qu’une existence éphémère ; la Ligue du travail, dont le centre est à Washington, s’est montrée trop prudente dans sa direction, trop timide dans ses doctrines pour acquérir une influence sérieuse sur la classe ouvrière : seule, la Fédération internationale, servie par l’ardeur et la persévérance des sectaires qui l’ont fondée, et recrutée par l’émigration européenne, a pris de l’extension. Elle vise à étendre son action sur tout le territoire américain, et dans ce dessein elle cherche à se rattacher toutes les trades-unions, non pour les absorber, car elle leur laisse leur existence indépendante, mais pour les soumettre à son influence, leur donner une impulsion commune et les transformer en instrumens. Les trades-unions, limitant leur action à la question des salaires, lui paraissent une conception étroite et mesquine, vouée à une œuvre subalterne : elle a des aspirations plus vastes, et prétend à une action plus générale et plus puissante. Les trades-unions aspirent à établir un concert entre tous les ouvriers d’une même industrie pour les opposer aux chefs de cette industrie ; elle prétend réunir dans un effort commun tous les ouvriers de toutes les professions et de tous les pays, créer une force irrésistible qu’impose sa loi à la société entière. Elle se tient en relations constantes et en correspondance régulière avec l’association du même nom qui existe en Europe et dont elle se considère comme une branche. Lorsque, dans les derniers jours de juillet, cinquante ouvriers maçons, engagés à New-York par un entrepreneur anglais, s’embarquèrent pour Londres, où les maçons venaient de se mettre en grève, les délégués de l’Internationale n’épargnèrent aucun effort pour les faire renoncer à leur dessein : ils allèrent jusqu’à leur proposer de leur payer leurs journées tant qu’ils ne trouveraient pas de travail aux conditions offertes par l’entrepreneur anglais. Au même moment, un appel au public, signé de Justus Schwab, de Léander Thompson, et d’autres meneurs bien connus de la Fédération, paraissait dans les journaux. Ce document annonçait l’ouverture d’une souscription en faveur des déportés à la Nouvelle-Calédonie. « Le féroce Mac-Mahon, disaient les signataires, n’est pas rassasié par les flots de sang que les bouchers de l’armée de Versailles ont répandus, le sacrifice de plusieurs milliers de martyrs ne lui suffit pas : il faut que 4,000 de nos frères soient torturés et bâtonnés, tous les jours, pour expier leur dévoûment à une cause sainte. » On invitait donc tous les gens de bien, tous les amis de la justice à protester en envoyant sans