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plus forte de toutes, et celle qui est de nature à frapper le plus les Américains, c’est que l’existence des trades-unions est un attentat perpétuel contre la liberté humaine. Ces associations disent en effet à l’ouvrier : « tu m’appartiendras ou tu mourras de faim. Tu travailleras ou tu chômeras à ma volonté. N’espère pas te faire une place à part par ton intelligence, ton application, ton assiduité ; moi seule, je réglerai le prix, la durée, les conditions de ton travail. N’espère pas te soustraire à ma loi, car quiconque a du travail à donner te repousserait et serait contraint de te repousser. » C’est après avoir ainsi fait des esclaves de ceux dont elle prétend défendre les intérêts que l’association se retourne vers le capital, et, faisant table rase de la loi de l’offre et de la demande, et des conditions économiques du marché, elle prétend, par la menace de le mettre en interdit et de lui ôter les moyens de remplir ses engagemens, régler sans lui et malgré lui le prix de la main-d’œuvre qu’il devra employer. La société n’est pas moins lésée par cette intervention illégale dans des contrats dont l’essence doit être la liberté, elles trades-unions semblent lui dire : « Nous réglerons le prix de toute main-d’œuvre sans tenir compte d’aucune des conditions qui influent sur la valeur du travail, abondance ou pénurie, cherté ou bon marché de la vie, prospérité ou stagnation des affaires. Pour faire prévaloir notre volonté, nous n’aurons égard ni aux intérêts ni aux droits des tiers ; nous suspendrons l’exécution des contrats, nous paralyserons une industrie ou toutes les industries, nous arrêterons le mouvement commercial du pays, pour qu’une pression s’exerce ait profit de nos exigences. » Qu’est-ce donc, lorsque les violences contre les personnes, les attentats contre la propriété viennent outrager la loi, lorsque la destruction de chemins de fer, l’incendie de fabriques, l’inondation des mines viennent porter atteinte à la richesse nationale ? N’est-ce pas dans une démocratie où il n’y a de privilège pour personne, où tous ont les mêmes droits en partage, que l’on doit plus particulièrement se préoccuper des conséquences possibles de ces organisations occultes et sans contrôle qui aboutissent à créer un état dans l’état ?

Les Américains invoquent volontiers comme une preuve de l’excellence de leurs institutions les humbles commencemens de quelques-uns de leurs citoyens les plus éminens qui, après avoir débuté dans la vie comme de simples ouvriers et demandé leurs moyens d’existence à un travail manuel, se sont élevés par leurs propres efforts et sont arrivés les uns aux plus hautes magistratures, les autres à des fortunes princières. Ces exemples, si honorables pour ceux qui les ont donnés, si encourageans pour tous ceux qui luttent, ne se renouvelleront plus avec le régime