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pièces de canon qui n’avaient même pas été déplacées, et ce fut là toute la bataille du Père-Lachaise.

À la Roquette, la nuit fut lourde : les otages couchés à l’infirmerie ne dormirent guère ; les 10 prêtres, les 82 soldats de la troisième section, les 42 sergens de ville, les 10 artilleurs de la deuxième, avaient placé leurs sentinelles et veillaient à tour de rôle ; on souffrait de la faim, depuis vingt-quatre heures, on n’avait rien mangé. Au dehors, il n’y avait que du silence ; la fusillade avait pris fin : surmenés par six jours de lutte, les combattans se reposaient. « Où sont les troupes de Versailles ? » se disait-on avec angoisse. Au petit jour, le dimanche 28 mai, le surveillant Latour, qui gardait la porte d’entrée, entendit heurter avec violence ; il regarda par son judas et reconnut une compagnie de fusiliers marins, il ne fut pas long à ouvrir, il eut un cri qui peint bien l’état des âmes dans ce moment redoutable : « Enfin ! voici la France ! » Cinq minutes après, le pharmacien, M. Trencart, qui dormait chez lui épuisé de fatigue, fut réveillé par sa porte qui volait en éclats sous la projection d’un énorme pavé : c’est ainsi qu’il apprit que l’armée française avait enfin et trop tard repris possession de la Grande-Roquette.

Le surveillant Pourche prévint immédiatement le colonel de Plas, qui commandait les marine, de la situation particulière des otages barricadés ; sans eau, sans pain, ignorant ce qui se passait, ils devaient être dans un état de souffrance qu’il fallait rapidement secourir. On s’empressa de se rendre dans la cour principale ; on cria aux otages de descendre, ils répondirent qu’ils ne descendraient pas. Il y eut là une scène puérile et presque ridicule. Le costume des fusiliers, pantalon, vareuse et béret bleus, était inconnu ; pour ces malheureux encore très effarés, tout soldat qui ne portait pas un pantalon rouge était un ennemi. Les marins avaient beau crier : « Vive la France ! » montrer leur drapeau tricolore ; les prisonniers restaient prisonniers et se disaient comme aux beaux jours des insurrections : « Gardons nos barricades. » Le colonel de Plas comprit cette défiance et fut d’une patience à toute épreuve. On lui demanda son carnet, son revolver, vingt fusils, vingt paquets de cartouches ; il ne refusa rien. À l’aide de cordes à fourrage prêtées par des artilleurs, on montait tous ces objets fort rassurans. Cela ne suffit pas encore, et cette comédie se serait peut-être indéfiniment prolongée, si un détachement du 74e de ligne n’avait pénétré dans la cour. La vue du pantalon rouge leva toutes les hésitations ; on bouleversa les matelas, on ne fit qu’un bond à travers les escaliers et l’on se donna une sérieuse accolade.

« Et l’archevêque ? et M. Bonjean ? — tous fusillés ! » Ce fut un cri d’horreur. Les auteurs du crime n’étaient plus là ! Où les prendre ?