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La prison était libre, et ce fait, qui devait paraître d’autant plus heureux qu’il était plus inattendu, allait causer de nouveaux malheurs. Les otages de la deuxième et de la troisième section avaient, des fenêtres du bâtiment de l’est, vu la révolte des condamnés, l’intervention des fédérés, le sauve qui peut général, mais n’avaient pu que se rendre très vaguement compte de ce qui se passait. Pour eux, la situation n’était pas modifiée ; suivant en cela l’avis de Pinet, ils étaient persuadés que le péril était moins pressant derrière leur barricade que hors de la prison, dans les rues encore occupées par les hommes de l’insurrection. Ils s’étaient promis de n’ouvrir les grilles, de ne descendre qu’en présence de l’armée française, qu’ils espéraient toujours voir arriver d’un instant à l’autre. Pour les otages de la quatrième section, du bâtiment de l’ouest, il n’en était pas ainsi. Ils étaient au nombre de vingt-trois, dont seize ecclésiastiques. La journée, pleine d’alternatives poignantes, leur avait été insupportable. Quelques minutes après la fuite des détenus criminels et de tous les fédérés, les auxiliaires de leur section[1] se précipitèrent dans le couloir en criant : « Vite ! vite ! sauvez-vous ! » Sans trop réfléchir et croyant que la liberté serait la délivrance, ils se hâtèrent. M. Rabut, commissaire de police, pressait M. Bécourt, curé de Bonne-Nouvelle, qui s’attardait dans sa cellule ; ne sachant trop s’il n’allait pas à la mort, préoccupé d’un dépôt de 30,000 francs qu’il avait reçu et caché avant son incarcération, cet honnête homme écrivait minutieusement une note destinée à faire retrouver la somme qui ne lui appartenait pas. Lorsque ces malheureux, qui étaient descendus par l’escalier de secours, passèrent dans la cour principale, ils aperçurent les otages de la deuxième et de la troisième section, le visage collé aux barreaux. Ils leur crièrent : « Venez donc, nous sommes libres. » On leur répondit : « Non, ne partez pas, vous serez tués dehors. » Ils n’entendirent pas ou ne voulurent pas entendre, et quittèrent la Grande-Roquette. Mgr Surat, archidiacre de Paris, fut rejoint sur la place par M. Bécourt, par M. Houillon, missionnaire, par un employé du service administratif des prisons nommé Chaulieu. Imprudemment, au lieu de se disperser, ils firent route ensemble. La vue de la place de la Roquette tout à fait déserte les avait rassurés, ils s’engagèrent dans la rue de Saint-Maur pour gagner le boulevard du Prince-Eugène ; près de la rue de Charonne, ils furent arrêtés. Mgr Surat, avec une imprudence injustifiable, dit : « Je suis prêtre et je sors de la Roquette. » Ils furent ramenés

  1. On appelle auxiliaires les détenus qui font métier de domestiques dans les prisons.