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immédiatement les maisons d’où l’on aurait tiré sur les fédérés et d’en fusiller tous les habitans ; — une lettre de la citoyenne Verdure, déléguée à l’orphelinat de la rue Oberkampf, relative à un fait de galanterie vénale. Le soupçon, d’ivrognerie, la cruauté, la débauche, n’est-ce pas là en effet le fond même de l’insurrection qui allait succomber ? Pendant que Delescluze mourait, Vermorel, en aidant à ramasser un insurgé frappé d’une balle, recevait une blessure dont il ne devait pas guérir. Lui et Delescluze représentaient les deux partis extrêmes de la commune, les deux adversaires futurs qui se seraient disputé le pouvoir ; l’un était un socialiste ardent, haïssant les jacobins ; l’autre était un jacobin, méprisant les socialistes ; la lutte fut devenue très vive entre eux, et il est probable que c’est Vermorel, — un rêveur, — qui eût succombé.

Lorsque la mort de Delescluze fut connue à la mairie du XIe arrondissement, on proposa le commandement en chef à Wrobleski, le Polonais qui avait très solidement combattu à la Butte-aux-Cailles ; il le refusa, par le motif fort sérieux qu’il n’y avait plus assez d’hommes en armes pour espérer raisonnablement de résister aux troupes françaises. La délégation à la guerre fut alors abandonnée plutôt que confiée au colonel Hippolyte Parent, qui était bien digne d’aider la commune à pousser son dernier râle ; car la veille, 24 mai, et le matin même, il avait fait fusiller huit fédérés qu’il accusait d’être en relations avec Versailles ; deux bandits subalternes, Lachapelle et Forestier, avaient dressé le procès-verbal de l’exécution. En outre, ses états de service en faisaient un homme précieux pour les cas désespérés. C’était un ouvrier chapelier auquel la justice avait accordé quelques loisirs dont il avait sans doute profité pour étudier la science sociale et l’art militaire. Le 10 novembre 1859, le tribunal de Montdidier lui applique une peine de trois mois de prison pour escroquerie ; le 13 novembre 1862, le tribunal de Péronne l’envoie pendant une année en prison pour un délit analogue ; le 14 janvier 1863, la cour d’assises de la Somme lui inflige trois ans d’emprisonnement pour faux en écriture privée ; le 30 novembre 1868, il est, à Lyon, condamné à un an de prison pour abus de confiance ; le 14 juin 1870, dans la même ville, six mois d’emprisonnement punissent un nouveau méfait. Or, au mois de mai 1871, Hippolyte-Achille Parent, dit Narcisse, venait d’atteindre sa trente-deuxième année ; on voit qu’il avait su occuper sa jeunesse.

Conformément aux dispositions adoptées par Delescluze, tout ce qui restait de la commune s’installa, vers le milieu de la nuit, au XXe arrondissement, dans la mairie de Belleville, qui était l’ancien restaurant de l’Ile d’amour, si souvent célébré par les romans de Paul de Kock.