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à néant. On a dit que, sous prétexte d’une communication importante à faire à l’un des chefs de l’armée allemande, Delescluze avait essayé de franchir la porte de Vincennes, qu’arrêté, maltraité par les fédérés, il s’était vu obligé de revenir sur ses pas et de reprendre place à la mairie du XIe arrondissement. C’est faux. Dans la journée du 25 mai, la porte de Vincennes étant gardée par le commissaire de police J…, ancien employé au journal le Réveil et qui était absolument dévoué à Delescluze. Si celui-ci s’était présenté, le pont-levis eût été immédiatement abaissé pour lui. Quatre soldats seulement, quatre Espagnols, appartenant au corps franc des Amis de la France, étaient de service et prêtaient main-forte-à J… Personne ne sortit dans cette journée, quoique le nombre de ceux qui voulaient s’échapper fût nombreux ; on refusa même le passage à M. R.., agent d’assurances à Bagnolet, qui justifiait de son identité. Une seule exception fut faite en faveur d’un correspondant du Times, qui donna vingt francs « pour les blessés. » Le lendemain matin 26 mai, quatre officiers fédérés, qui étaient le lieutenant Pitois fils, le colonel Collet, le capitaine Julaud et un autre capitaine dont on ignore le nom, portant chacun un sac de 1,000 francs destinés à la solde des hommes de Vincennes, franchirent la porte en voiture, ne se rendirent pas au fort et ne reparurent plus. On a probablement attribué à Delescluze une démarche qui fut faite plus tard près des autorités allemandes par Arnold et qui fut reçue avec le mépris qu’elle méritait.

Les apologistes de la commune ont déifié Delescluze, de sa fin ils ont fait un martyre héroïque ; mais ils ont omis de raconter à la suite de quelles violences dirigées contre lui il avait marché vers la mort. Mus par un intérêt de parti, ils n’ont pas dit toute la vérité. Cette vérité, nous allons essayer de la reconstituer, tout en prévenant le lecteur que notre récit ne repose que sur des conjectures, mais sur des conjectures tellement probables, appuyées de témoignages si concordans, qu’elles serrent la certitude d’aussi près que possible. — La journée du 25 mai, — qui est, en fait, la dernière journée de la commune, — fut extraordinairement tumultueuse à la mairie du XIe arrondissement. On se tenait dans la salle des fêtes qui était bien réellement devenue les écuries d’Augias. Le parquet était jonché de débris d’assiettes, de bouteilles cassées, de charcuterie : des matelas maculés gisaient dans les coins ; des tonneaux de vin à demi défoncés, des sacs dégorgeant de cartouches, des touries de pétrole encombraient toutes les chambres. Des estafettes, des officiers entraient et sortaient ; on se gourmait aux portes, il n’y avait plus ni chefs, ni soldats ; il n’y avait plus là que des vaincus, des naufragés qui s’entre-dévoraient. Delescluze avait compris que le refuge de la commune, menacé de toutes parts,