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Dès le début de la lutte suprême, les mesures de destruction sont prises, et l’on met en action le programme tracé le 27 novembre 1870 dans une séance du comité de la ligue à outrance : « Paris doit être brûlé ou appartenir aux prolétaires. » L’ordre donné est positif, et le voici dans son implacable simplicité : « Paris, 3 prairial an 79 (22 mai) ; le citoyen Millière, à la tête de 150 fuséens, incendiera, les maisons suspectes et les monumens de la rive gauche. Le citoyen Dereure, avec 100 fuséens, est chargé des Ier et IIe arrondissemens. Le citoyen Billioray, avec 100 hommes, est chargé des IXe, Xe et XXe arrondissemens. Le citoyen Vésinier est chargé spécialement des boulevards de la Madeleine à la Bastille. Ces citoyens devront s’entendre avec les chefs de barricades pour assurer l’exécution de ces ordres. » L’histoire, qui enregistre les excès de la bêtise et de la cruauté humaines, nous prouve que tous les fanatismes sont implacables et se ressemblent. Dans Les belles figures et drolleries de la ligue (1589), l’Estoile nous a conservé un fragment manuscrit qui s’applique avec une précision race aux événemens que nous essayons de raconter. « Pauvre peuple, s’écrie-t-il, ceux qui sont perdus en eux veulent te voir perdre avec eux. J’en demanderai la résolution prise en leur dernière assemblée chez le bon curé de Saint-Cosme, à l’issue de son sermon, qui fut que, n’ayant d’espoir, ils brusleroient tous les registres du parlement, du Chastelet, de la Chambre des comptes et de l’Hostel de Ville ; puis, s’assemblant par leurs quartiers, mettraient le feu chascun chez soy et s’efforceraient d’esteindre ceux qui s’efforceraient de l’esteindre[1]. » Les rêveurs malfaisans de la ligue et de la commune peuvent se donner le baiser fraternel à travers les siècles.

Le 25 mai, la commune était aux abois : elle s’agitait encore et ne vivait plus ; mais les derniers spasmes de son agonie devaient être terribles. Ce jour-là, son pontife, celui que l’on appelait volontiers le vétéran de la démocratie et de la révolution, Delescluze allait mourir. Sa mort ne fut pas sans influence sur le sort des otages détenus à la Roquette, et c’est pourquoi elle nous appartient. Delescluze avait alors soixante-deux ans. ; il avait beaucoup souffert, avait connu les geôles, l’exil, la déportation, était d’une santé délicate, souvent malade, et, malgré son énergie naturelle centuplée par les événemens qu’il tentait de diriger, était parfois affaissé et paraissait beaucoup plus âgé qu’il ne l’était réellement : c’était un vieillard ; malgré les soins recherchés qu’il prenait de sa personne, il en avait l’aspect et la débilité. Depuis la disparition de Rossel, tout le poids de la lutte retombait sur lui ; membre du comité de salut public, délégué à la guerre, il faisait son noviciat militaire à

  1. Bibl. nat., III, réserve des imprimés : pièce manuscrite L. 25, a 6, fol. XXI.