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Réorganisateur de la France au lendemain de la guerre étrangère et de la guerre civile, pacificateur patient et plein de ressources, M. Thiers aurait voulu aller plus loin ; il avait l’ambition de compléter cette réorganisation, de donner un gouvernement, des institutions au pays en faisant, de ce qui n’était encore qu’un régime provisoire un régime définitif sous le nom de la république. C’était la grande question réservée par le « pacte de Bordeaux, » perpétuellement sous-entendue ; ce fut l’objet du message du 11 novembre 1872, œuvre de hardiesse et de mesure, de raison politique et de dextérité, qui ne tranchait pas la question, qui saisissait simplement l’assemblée et le pays en exposant la vérité d’une situation.

M. Thiers ne s’était point assurément décidé sans de profondes réflexions, sans s’être livré à une étude attentive de l’état moral de la France, du morcellement des opinions à la suite de trop nombreuses révolutions, des compétitions de dynasties. Il n’admettait pas même un instant la chance d’une résurrection de l’empire deux ans après Sedan ; il avait vu, d’un autre côté, la monarchie devenue impossible par la scission des élémens monarchiques, par la fatalité des divisions de famille, et même, dans le cas d’un rapprochement, par une incompatibilité trop visible entre le naïf mysticisme du chef de la maison de Bourbon et la France moderne, la France sortie de la révolution de 1789. Il n’y avait dès lors pour lui que la république possible ; mais cette république il la voulait naturellement sage, libérale, équitable, dégagée, comme il le disait, des mains de certains républicains, de tous les préjugés et de tous les procédés républicains : il proposait à l’assemblée de l’organiser elle-même sans la proclamer, de l’environner de garanties conservatrices. M. Thiers ne se faisait aucune illusion sur la difficulté de cette œuvre de médiation supérieure où lui, vieux serviteur de la monarchie constitutionnelle, s’élevant au-dessus des partis, il avait à proposer aux uns et aux autres, aux hommes sensés, modérés de toutes les opinions un pacte de Bordeaux renouvelé et plus durable, sous le nom et dans le cadre d’une république fortement organisée. Il avait pris sa résolution parce qu’il sentait tous les jours qu’un provisoire indéfini serait mortel, que sans un régime définitif la France ne pouvait avoir ni fixité intérieure, ni action extérieure. Malheureusement c’était demander à des partis passionnés un acte de raison, et à la majorité d’une assemblée qui croyait avoir été envoyée à Bordeaux et à Versailles pour rétablir la monarchie, l’abandon de ses espérances. C’était courir pour un moment la chance de ces banales accusations de connivences radicales auxquelles certains républicains, par une élection aussi coupable que puérile, ne manquaient pas bientôt de donner un nouveau prétexte,. Le 24 mai 1873 est là tout entier ! Devant cet acte de souveraineté parlementaire du 24 mai, M. Thiers se retirait spontané-