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le même Frédéric écrivait au même Louis XV que « c’était un événement glorieux pour la personne du roi et pour les avantages de la France, mais que pour les intérêts de la Prusse une bataille gagnée sur les bords du Scamandre ou la prise de Pékin seraient des diversions égales[1] ? » Il avait même été plus loin, jusqu’à l’insulte, et quand le ministère français lui avait signalé le Hanovre comme une bonne capture, il avait répondu, lui, qui venait de faire main basse sur la Silésie et qui devait un jour dépecer la Pologne, que « de pareilles propositions étaient bonnes pour négocier avec un Mandrin[2]. » On venait précisément de rouer le fameux contrebandier à Valence. On sait d’ailleurs que par deux fois, dans le cours de cette même guerre de la succession d’Autriche, Frédéric avait fait sa paix séparément et faussé sa parole d’alliance et de fidélité. Là-dessus il n’avait plus besoin de diriger ses sarcasmes contre Mme de Pompadour : le mal était fait. L’eût-il réparé s’il avait accueilli les avances de la marquise quand Voltaire se fut chargé de les lui transmettre ? C’est une question. Ce qui du moins n’est pas douteux, c’est que, quand le ministère autrichien fut dirigé par Kaunitz et le ministère français exercé par Bernis, l’ambassade occupée par Choiseul à Vienne et par Starhemberg à Paris, il ne fut pas difficile de faire de Louis XV l’ennemi juré du roi de Prusse. Mme de Pompadour put aider à l’alliance, elle ne l’imposa certes pas à Louis XV ; elle hâta la décision, elle ne détermina pas la conviction du roi.

Ce fut Kaunitz lui-même qui fit les premiers pas vers la marquise. En 1751, étant alors ambassadeur de l’impératrice à Paris, il écrivait à Vienne : « Si Mme de Pompadour se mêlait des affaires étrangères, elle ne nous rendrait peut-être pas de mauvais offices. » Elle ne s’en mêlait donc pas encore. Et pourquoi s’en mêla-t-elle ? Faut-il le dire ? Ambition, vanité, gloriole, mais surtout pour défendre contre les intrigues de cour sa position menacée par un parti qui n’admettait pas que Jeanne Antoinette Poisson, dame Le Normand d’Étioles, une « espèce », comme on disait, usurpât les privilèges d’alcôve jusqu’alors exclusifs aux Montespan et aux Châteauroux. On avait laissé l’ambassadeur autrichien libre, selon la circonstance, d’adresser les propositions de sa cour soit au prince de Conti, qui dirigeait la correspondance secrète, soit à Mme de Pompadour. Il choisit la favorite, et Kaunitz écrivit à la marquise. Sa première lettre est datée du mois d’août 1755. « Madame,… M. le comte de Starhemberg a des choses de la dernière importance à proposer au roi, et elles sont d’espèce à ne pouvoir être traitées que par le canal de

  1. Nous répétons les plaisanteries de Frédéric sur son propre témoignage, et les deux citations sont tirées de l’Histoire de la guerre de sept ans. Je trouve une autre version de la première dans la pièce officielle : Réponse au mémoire du roi de France. Gust. Droysen, Friedrich der Grosse, II, 480.
  2. Édit. Preuss, t. IV, p. 29.