Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 23.djvu/436

Cette page a été validée par deux contributeurs.
432
REVUE DES DEUX MONDES.

dans la vase parfois jusqu’à mi-corps, puis, au plus épais du fourré, écarter les joncs avec leurs longues cornes arquées, et, le cou tendu, reniflant avec bruit, comme pour s’exciter à l’effort, se frayer victorieusement un passage. À un endroit, une rivière profonde nous barre le chemin. Que faire ? Nos indigènes ne sont pas embarrassés pour si peu. Les hommes s’embarquent sur une pirogue, mais une pirogue si étroite qu’il faut faire des prodiges d’équilibre pour ne point chavirer. Pour les chariots et les buffles, la manœuvre est plus ingénieuse. Après avoir traversé le cours d’eau, les guides, au moyen de lianes, halent d’une rive à l’autre les véhicules, et, du même coup, les bêtes d’attelage, qui, attachées derrière les chars, nagent sans péril à leur suite. Nous sortons enfin du marécage et nous prenons pied sur la terre ferme. C’est une zone étroite, mais fertile et bien cultivée, qui entoure la base du monticule où nous nous rendons. Là le mé-sroc ou chef de village vient à notre rencontre avec de nouveaux conducteurs, et alors commence, par un étroit sentier ombreux, l’ascension de la montagne sainte. Malheureusement, au plus fort de l’escalade, nous sommes surpris par une averse diluvienne telle qu’il n’en tombe que dans ces régions, et en un instant notre route se trouve transformée en un véritable torrent. Il nous faut gravir péniblement des blocs de grès glissans, puis nous engager dans un escalier naturel qui contourne une gigantesque muraille de l’autre côté de laquelle se font entendre des tintemens argentins. Tant bien que mal, pourtant, nous arrivons au sommet. Devant nous se dresse une jolie pagode cambodgienne dont les toits recourbés sont garnis de clochettes. C’était le son de ces clochettes agitées par le vent qui avait de loin frappé nos oreilles. La place est déserte ; mais les offrandes qui entourent la statue de Bouddha attestent qu’on y vient parfois en pèlerinage. Des chevelures coupées qui baignent dans une sorte d’auge en pierre, remplie d’eau, — peut-être anciennement quelque phra-bat ou empreinte sacrée du pied de Sakia-Mouni, — prouvent aussi que maint dévot, désireux de se vouer à la vie contemplative, a choisi ce lieu saint pour y accomplir la cérémonie de la tonsure et y prendre, suivant le rite, la robe jaune des bonzes.

Dès l’abord, la pagode seule avait attiré nos regards, mais nous ne tardons pas à remarquer que les blocs de rocher environnans, tout recouverts de végétation, ont été jadis profondément sculptés. Aux uns on avait donné la forme de pyramides ornées de découpures étagées, d’autres avaient figuré les diverses représentations du Bouddha, debout, assis ou couché. Quelques-unes de ces statues ont plus de 15 mètres de hauteur ; certaines d’entre elles sont assez belles d’exécution et remontent visiblement à plusieurs siècles, car