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UNE MISSION AUX RUINES KHMERS.


tentif lui permit de le rassurer entièrement. En sortant du palais, nous trouvâmes à la porte un groupe de bonzes agenouillés et priant pour la guérison du prince ; d’autres parcouraient les rues en chantant des cantiques et en psalmodiant des versets sacrés. Des prières publiques avaient été ordonnées dans tout le royaume ; autour des pagodes, devant chaque maison étaient dressés de hauts bambous portant des banderoles de toutes couleurs. Près des statues de Bouddha, aux carrefours des chemins, au pied des stoupas et jusque dans l’intérieur des habitations chinoises brûlaient des bâtons odoriférans. Le trafic habituel paraissait suspendu, le peuple circulait par les rues en habit de cérémonie ; pendant la soirée et fort avant dans la nuit, les rues furent remplies de gens portant des torches ou des lanternes ; le bruit du gong et du tam-tam se mêlait de tous côtés aux détonations des pétards, et le ciel ne cessait d’être sillonné par le vol des fusées, dont les crépitations et l’éclat devaient éloigner les mauvais génies acharnés à tourmenter le souverain.

Quelques jours après, notre misýsion, augmentée des interprètes que M. Moura nous avait procurés et d’un mandarin porteur d’ordres écrits de la main du roi, se mit en route pour la région des lacs. Le soir même, ayant laissé derrière nous les collines d’Udongs (la Superbe), couronnées de pyramides aiguës, et la longue file de cases de Compong-Luong (le rivage royal), ancienne capitale du Cambodge, nous mouillions à Compong-Chenang (le marché des marmites), où les indigènes s’approvisionnent à l’époque de la pêche, et nous y prenions des pilotes pour nous diriger dans le dédale très peu connu des divers cours d’eau que nous allions avoir à parcourir.

Le grand lac de Tonly-Sap et les lacs secondaires qui en sont voisins occupent une large dépression au centre des immenses plaines boisées du Cambodge ; ils reçoivent le tribut de nombreuses rivières qui forment tout autour comme les rayons d’un vaste cercle et qui sont reliées entre elles par des arroyos multiples ; dans la saison des pluies, toutes les parties basses des forêts sont inondées sur une étendue de 25  kilomètres. C’est à l’extrémité occidentale de la grande nappe lacustre, sur le territoire de Siam, que se trouve Angcor, l’ancienne capitale du pays ; aux environs, dans un rayon de 200 à 400 kilomètres, sont disséminés les plus remarquables débris de l’antique civilisation khmer. L’origine de ces monumens est encore obscure. Ce sont des citadelles immenses, de grandes voies de communication, des ponts, des canaux et des réservoirs, puis des palais, des temples, d’énormes pyramides commémoratives. De ces derniers édifices la destination nous est con-