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suffisait de se prononcer. Malheureusement Monsieur, sans cesse tremblant de peur, avait horreur de l’action. Le parti, toujours d’après Retz, aurait eu cet avantage d’être purgé à la fois de mazarinisme et de toute alliance espagnole, et son premier acte aurait été de se rallier à la cour. Si le plan se fût réalisé, Retz, revêtu de la pourpre, se voyait déjà premier ministre du gouvernement nouveau.

Il avait été promu cardinal au mois de février, et ce ne fut pourtant qu’au mois de septembre qu’il se décida enfin à se rendre à Compiègne pour y recevoir son bonnet rouge des mains du roi. Il espérait y nouer quelques intrigues pour favoriser la rentrée du duc d’Orléans dans le conseil. Il partit de Paris le 9, dans le plus magnifique appareil, avec une escorte de deux cents gentilshommes, une compagnie des gardes de Monsieur et vingt-huit carrosses à six chevaux, contenant les curés de Paris, les députés du chapitre et ceux des congrégations religieuses de Saint-Victor, de Sainte-Geneviève, de Saint-Germain-des-Prés et de Saint-Martin-des-Champs, sans compter les autres[1]. Le lendemain, il fut admis en présence du jeune roi, qui lui remit le bonnet de sa main. A partir de ce moment, l’ambitieux prélat devenait l’un des deux premiers personnages du royaume après le roi, les cardinaux ayant le pas, à la cour de France, sur les premiers princes du sang. Il prononça devant le jeune monarque une harangue dans laquelle il traçait un tableau lamentable des misères publiques, et l’exhortait à rentrer dans sa bonne ville de Paris, en imitant la clémence de son aïeul Henri IV. Le roi lui répondit en termes vagues, sans vouloir s’engager à rien, mais avec beaucoup de bienveillance pour les Parisiens. Le nouveau cardinal profita de son séjour à Compiègne pour tâcher de se rendre nécessaire. Il vit la reine, il vit les secrétaires d’état Servien et Le Tellier, en l’absence de Mazarin. Il leur jura que Monsieur romprait avec M. le prince et mettrait bas les armes, si on lui donnait une part importante dans la direction des affaires. On devine aisément où tendait cette proposition dans la pensée de Retz. Il se flattait du même coup de diriger tout le conseil par l’ascendant qu’y prendrait ce prince ; mais Mazarin était trop défiant et trop clairvoyant pour n’avoir pas prévu à quoi tendaient les manœuvres du coadjuteur. Trois jours avant l’arrivée de celui-ci à Compiègne, il avait écrit à Nicolas Fouquet, procureur-général au parlement de Paris et l’un de ses agens les plus dévoués, une lettre qui prouve qu’il voulait dès lors en finir à tout prix avec le turbulent prélat.

« Je vous conjure, lui disait-il, de vous appliquer à rompre par

  1. Journal inédit de Dubuisson-Aubenay, 9 septembre 1652.