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levé beaucoup de ces inconvéniens et qui eussent adouci les autres. Nous contribuâmes à son éloignement, au lieu d’y mettre les obstacles presque imperceptibles qui étaient dans nos mains ; il en arriva ce qui arrive toujours à ceux qui manquent à ces momens qui sont capitaux et décisifs dans les affaires. Comme nous ne voyions plus de bon parti à prendre, nous prîmes tous à notre mode ce qui nous parut le moins mauvais dans chacun, ce qui produit toujours deux mauvais effets, dont l’un est que ce composé, pour ainsi dire, d’esprit et de vues est toujours confus et brouillé ; l’autre qu’il n’y a jamais que la pure fortune qui le démêler.. »

Voilà un admirable exposé des difficultés inextricables dans lesquelles Retz se trouvait enlacé. Comme un joueur acharné à la poursuite de la fortune opiniâtrement contraire, et qui, jusqu’à la fin, espère rétablir son jeu, il ne cessa de compter sur le chapitre des accidens et de l’imprévu, tout en se rendant fort bien compte de l’état désespéré de ses affaires. Après avoir été si longtemps maître de Paris, après avoir tenu, pour ainsi dire, dans sa main le duc d’Orléans et le parlement, fait emprisonner Condé et l’avoir ensuite contraint à fuir de Paris ; après avoir fait exiler Mazarin et mettre sa tête à prix, il lui sembla trop dur d’être confondu dans la foule des courtisans et de devenir l’humble satellite de l’astre auquel il avait fait subir une si longue éclipse. Plutôt que de se soumettre à une telle humiliation, il préféra continuer la lutte, dût-il, comme Catilina, périr les armes à la main.

Ne pouvant donc se résigner à un accommodement avec Mazarin, non plus qu’avec M. le prince, dont les hauteurs ne lui étaient pas moins insupportables. Il ne vit d’autre ressource, pour prolonger les derniers momens de la fronde expirante, que dans la formation d’un tiers-parti. Ce parti, qui aurait eu pour chef le duc d’Orléans et pour premier ministre, cela va sans dire, le coadjuteur, aurait été composé, d’après le plan de Retz, « des parlemens et des grandes villes du royaume. » Il aurait été « indépendant et même séparé, par profession publique, des étrangers et de M. le prince même, sous prétexte de son union avec eux[1]. » Le but essentiel du tiers-parti devait être d’expulser Mazarin et de le tenir à tout jamais banni des affaires. Pour atteindre ce but, il fallait sans scrupule s’armer et faire la guerre, mais sans la moindre alliance avec les étrangers. En conséquence, il fallait sans retard lever des troupes et de l’argent. Suivant l’opinion de Retz, le projet devait être appuyé avec chaleur par le parlement, l’Hôtel de Ville et le peuple de Paris. Pour que Monsieur fût chef d’un grand parti, il lui

  1. Mémoires du cardinal de Retz.