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retarder la promotion du coadjuteur et qu’il n’avait en main aucun acte de révocation, ainsi que l’a supposé le cardinal de Retz dans l’intérêt de sa justification. « Je me suis conduit en cette affaire, disait le bailli en terminant sa lettre, en sorte que M. le cardinal de Retz n’a pu reconnaître dans mon procédé qu’un désir très ardent de leurs majestés et de votre éminence pour sa promotion. L’abbé Charrier en a parlé partout en cette sorte, et M. le cardinal de Retz m’a écrit une lettre de sa main par laquelle il me témoigne de grands ressentimens d’obligation. J’avoue que, s’il manquait après cela à ce qu’il doit, j’ai en main de quoi le convaincre de la plus haute ingratitude du monde[1]. » Le même jour, le bailli donnait à Brienne les mêmes explications qu’à Mazarin, et il ajoutait des détails caractéristiques qui ne sont pas sans intérêt, puisqu’ils nous font connaître quelles étaient alors les véritables dispositions de Retz à l’égard de l’ambassadeur. Le bailli, en trompant l’abbé Charrier, avait du même coup donné le change au coadjuteur sur les véritables dispositions de la cour de France envers lui et sur les instructions secrètes qu’il avait reçues d’elle. Le cardinal de Retz avait d’abord été si pleinement convaincu de la bonne foi du bailli à son égard et en même temps de son zèle, qu’à deux reprises il lui avait écrit pour le remercier. Retz se garde bien de nous dire cela dans ses Mémoires, car il lui eût été trop pénible d’avouer qu’il avait été dupe d’un homme d’un esprit si peu délié. Le cardinal de Retz, poursuit l’ambassadeur, a reconnu la sincérité de mes diligences pour hâter sa promotion. « C’est ce que cette éminence m’a fort ouvertement déclaré par une lettre qu’elle m’a écrit de sa main, avant même que d’avoir reçu celle que je lui ai écrite en conjouissance de son cardinalat… L’abbé Charrier dit hautement que M. le cardinal de Retz ne pourrait jamais se laver de la tache d’une ingratitude sans pareille, s’il ne sacrifiait vie et fortune pour le service de leurs majestés et de MM. les ministres et n’avait des reconnaissances fort pressantes de la sincérité avec laquelle j’ai conduit et porté la sollicitation de son bonnet[2]. » Mais, soit que Retz eût depuis lors acquis la preuve du tour qu’avait pensé lui jouer Mazarin, soit qu’il en eût un véhément soupçon, il ne tarda pas à tenir à Paris un tout autre tangage.

A l’égard des courriers extraordinaires que le coadjuteur avait envoyés à Rome, le bailli donnait à Mazarin et au comte de Brienne des explications dont ils durent se contenter, faute de mieux. Suivant le bailli, ces courriers n’avaient été expédiés par le

  1. Le bailli de Valençay à Mazarin. Archives du ministère des affaires étrangères, Rome, t. CXX.
  2. Le bailli de Valençay à Brienne. Rome, 1er avril 1652. Archives du minist. des affaires étrangères ; Rome, t. CXX.