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Est-il vrai que les corporations n’existent que par la loi ? L’expression est sans doute excessive ; mais ce qui paraît évident, c’est qu’une corporation qui serait indépendante de l’état deviendrait elle-même un état ; or il ne peut y avoir deux états l’un dans l’autre. Ainsi, sans soutenir que les corps n’existent que par la loi, on peut soutenir qu’ils n’existent que sous la surveillance de la loi. Thouret, avec les autres jurisconsultes de la constituante, allait très loin dans ce sens : « La destruction d’un corps, disait-il, n’est pas un homicide. » Il dénonçait les maux qui résultent de la propriété de mainmorte, qui, une fois enlevée à la circulation, n’y rentre plus. « Il faut, disait-il, des propriétaires réels », et les communautés ne sont que des propriétaires « factices, » toujours « mineurs, » et ne pouvant toucher qu’à l’usufruit. Ils sont « les ennemis des biens-fonds. »

Ce discours posait vigoureusement la question, mais sans développemens : du moins il nous a été transmis très abrégé. C’est à Mirabeau qu’il était réservé d’exposer la question sous toutes ses faces, avec une abondance de raisons et d’argumens d’un intérêt puissant, mais souvent sophistiques. Il fit sur ce sujet deux discours dont le second ne fut pas prononcé, mais que nous possédons tous les deux. Dans le premier de ces discours, Mirabeau distinguait trois espèces de fondations : celles qui avaient été créées par les rois, celles qui étaient l’ouvrage des corps, et enfin celles des simples particuliers. Pour les premières, elles n’ont dû être faites qu’au nom de la nation : les rois ne sont que les organes des peuples, et les peuples sont les héritiers des rois. Il est évident que ces dotations royales ne pouvaient avoir pour but qu’un service public, car les rois n’avaient pas le droit d’aliéner le territoire dans un intérêt purement privé ; même ces aliénations n’ont jamais pu être absolues, le domaine étant essentiellement inaliénable : puisque la nation peut reprendre les domaines de la couronne, pourquoi ne reprendrait-elle pas ceux du clergé ? voilà donc une première classe de fondations où le droit de la couronne ne fait pas question ; or, suivant Mirabeau, c’étaient les plus nombreuses. Quant à la seconde classe, à savoir celles qui ont été fondées par les corps, Mirabeau présentait un argument spécieux et assez hasardé. Il prétendait que, la dépense du culte et la bienfaisance publique étant le droit et le devoir de l’état, les corps qui avaient créé des fondations n’avaient fait autre chose que payer leur portion de la dépense commune, et « acquitter leur contingent d’une dette nationale. » Leur piété avait « devancé » l’œuvre de la nation, mais n’avait pu priver celle-ci de son droit ; par ces raisons, Mirabeau concluait que l’état pouvait sans scrupule s’approprier ces sortes de