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bornés » eussent le droit « d’enchaîner à jamais à leurs volontés capricieuses les générations qui n’existaient pas encore. » Il remarquait que le temps peut rendre une fondation inutile et même nuisible. « Les guerres de Palestine ont donné naissance à des fondations qui n’ont plus de raison d’être. L’Europe est couverte de maladreries, et il n’y a plus de lèpre. » De plus, le « zèle ne se communique pas de siècle en siècle. » Il arrive même que certaines fondations disparaissent avec le temps par suite de la diminution de l’argent : il n’y aurait pas de mal si la fondation n’était que supprimée ; mais « on diminuera les lits des malades et l’on se contentera de pourvoir à l’entretien des chapelains. » Enfin il concluait cette savante et profonde discussion par cette phrase magnifique, que Mirabeau ne s’est pas fait scrupule de s’approprier dans son discours : « Si tous les hommes qui ont vécu avaient eu un tombeau et qu’il ne restât plus de terres pour cultiver, il faudrait bien détruire ces monumens inutiles et secouer la cendre des morts pour nourrir les vivans. »

Ce fut le 10 octobre 1789 que l’évêque d’Autun, Talleyrand, fit son rapport sur la propriété ecclésiastique. Ce discours, tout politique, est bien plus consacré à démontrer l’utilité et l’opportunité de la mesure qu’à en prouver la justice. Il commençait par établir que « les grandes nécessités exigent de grands moyens. » Il s’adressait au dévoûment du clergé, qui avait déjà consenti avec générosité à l’abandon des dîmes. L’abolition des dîmes avait elle-même pour conséquence une vaste opération sur les fonds, car il fallait compenser la perte des dîmes par les revenus des biens-fonds. Maintenant l’état a-t-il le droit de toucher aux fonds ? Ici Talleyrand faisait certaines distinctions qu’il faut avoir devant les yeux pour bien comprendre cette question complexe. Il y a trois cas distincts : les biens des communautés (couvens, confréries, etc.), : — les fondations devenues sans objet, — et enfin les bénéfices consacrés au soulagement des pauvres et à l’entretien du culte. Sur le premier point, Talleyrand soutenait que, sans avoir le droit de détruire le clergé, la nation peut supprimer certaines agrégations particulières ; or, disait-il un peu hardiment, « ce droit sur leur existence entraîne un droit sur leurs biens. » Sur le second point, il affirmait comme évident, ainsi que l’avait fait Turgot, que la nation a le droit de supprimer les bénéfices sans fonction et de faire tourner au profit de l’intérêt public le produit des biens vacans. Enfin, sur le troisième point, le plus délicat et le plus. essentiel, il disait que dans tous les actes de donation la part des bénéficiaires n’est jamais désignée que par ces termes : « ce qui est nécessaire à une honnête subsistance. » L’état, en assurant l’honnête subsistance des