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un abus, depuis que l’autorité de l’état s’était substituée partout à l’autorité féodale. Voici quels étaient les principaux de ces droits : la confiscation des biens des condamnés à mort : c’est ce qu’on appelait les fruits de haute justice, — le droit sur les poids et mesures, — le droit de déshérence, ou droit de succéder en cas de défaut d’héritier, — droit d’épaves et de varech ou droit de recueillir les objets jetés par la mer en cas de naufrage et en général de tout objet perdu, — droit d’aubaine, droit de recueillir la succession de tout étranger mort sur les domaines du seigneur, — droit de bâtardise, même droit à l’égard des bâtards, — droit de minage[1], droit sur les ventes, représentant, suivant les uns, le rachat de l’interdiction des ventes, suivant les autres, la peine que prend le seigneur de faire des règlemens de police, — droit d’afforage, de gambage, etc., droit sur les boissons débitées dans les cabarets, en retour de la police des officiers seigneuriaux, — propriété des chemins publics non royaux, et des rivières non navigables, — enfin droit de pêche et droit de chasse.

Tous ces droits, quelle qu’en ait pu être la justice à l’origine, représentaient un état de choses qui n’existait plus depuis longtemps, celui où le seigneur, féodal avait tous les attributs et les charges de la souveraineté ; mais depuis plusieurs siècles ces attributs et ces charges étaient passés peu à peu des seigneurs à la puissance publique, qui, elle-même, faisait payer sa protection au peuple par des impôts que les nobles n’acquittaient pas : le peuple continuait donc à payer aux seigneurs des services que ceux-ci ne rendaient plus, et payait en même temps à la royauté les mêmes services dont les seigneurs de leur côté profitaient sans les payer. On voit que d’injustices accumulées pesaient sur la tête des travailleurs, et combien il était équitable que cette première classe de droits fût abolie sans indemnité : c’était déjà beaucoup de ne pas intenter une action en restitution contre des droits levés depuis si longtemps d’une manière illégitime.

Une seconde classe de droits, encore improprement appelés droits féodaux, étaient les droits de mainmorte, à savoir la servitude personnelle, et tous les droits représentatifs de la servitude. On sait qu’en effet, à côté des rapports du vassal et du seigneur, il y avait celui du serf et des hommes libres. Le servage, atténuation plus ou moins grave de l’esclavage, était cependant encore une forme de l’esclavage. Le servage lui-même s’était atténué et modifié avec le temps ; mais il n’était pas encore entièrement supprimé en 1789, et d’ailleurs, là même où il avait été aboli, c’était au prix de certaines redevances

  1. Merlin cite douze noms différens donnés à ce droit.