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d’une cour dont les lumières présentaient plus de garanties que le tribunal d’un simple lieutenant criminel de bailliage ou qu’un présidial. On restreignit ainsi notablement l’usage de la torture. Or restreindre l’application d’une peine, en limiter extrêmement l’emploi, c’est en définitive en préparer l’abolition. La torture tendait de la sorte à n’être plus prononcée, comme est aujourd’hui la peine de mort, que dans des cas exceptionnels, et le plus souvent, à la fin du XVIIIe siècle, on ne recourait pas à la question préparatoire, on n’usait que de la question préalable. C’est qu’on avait suffisamment expérimenté la cruelle inutilité de ce mode de procédure, qu’on en sentait tous les funestes inconvéniens. Entre ces inconvéniens, il en est un que les magistrats ne s’avouaient pas généralement, mais qui n’en était pas moins des plus fâcheux. L’emploi des tourmens comme moyen d’instruction criminelle faisait en quelque sorte du juge-commissaire le coopérateur du bourreau ; il endurcissait son cœur, il le rendait inaccessible à la pitié, il l’habituait à l’idée que le criminel est un être qu’il est permis de faire souffrir à plaisir pour servir d’exemple aux autres. Aussi voyons-nous même de vertueux magistrats rester impassibles devant les angoisses et les cris d’un infortuné qui lutte contre la douleur afin de ne pas se dénoncer ou de ne pas dénoncer ses complices. Quand on appliqua à la question Damiens, l’assassin de Louis XV, on vit le duc d’Ayen, capitaine des gardes-du-corps du roi, et le garde des sceaux Machault prendre un féroce plaisir à faire martyriser le criminel. Celui-ci s’en plaignit ensuite avec une indignation faite pour le relever aux yeux des cœurs généreux, lors de ce qu’on appelait le reproche des témoins, ainsi qu’en fait foi une des pièces du procès. La question était le couronnement naturel d’une procédure où tout avait été conçu pour épouvanter le prévenu, où presque rien n’avait été prévu pour le protéger contre les erreurs et les préjugés du juge. Constituée comme elle le fut jusqu’au milieu du XVIIe siècle, la justice criminelle était plus un effroi pour ceux qui s’en approchaient qu’une protection pour la société. Ce redoutable appareil de formalités et de moyens employés pour convaincre le coupable assurait-il plus la défense de l’ordre et de la sécurité publique que les mesures plus discrètes et moins acerbes qui y ont été substituées ? Le malfaiteur, averti qu’une fois arrêté et traduit devant le tribunal, il ne rencontrerait aucune indulgence, aucune possibilité de se soustraire à la rigueur d’une sentence inexorable, était-il plus retenu qu’il ne l’est de nos jours ? Le grand nombre de condamnations prononcées par nos anciennes cours de justice, la mention que font les documens authentiques d’une multitude de crimes, donnent lieu d’en douter. Les lettres de rémission et de grâce de nos rois, dont on conserve une précieuse collection