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à avaler, dans celle des brodequins celui des coins introduits. L’usage prévalut de ne point séparer dans l’arrêt qui prononçait l’emploi de la question l’ordinaire de l’extraordinaire. L’esprit d’uniformité et de règle autant peut-être qu’un sentiment d’humanité fit interdire en France d’user devant un tribunal d’un autre mode de question que celui qui était établi pour son ressort.

Tels étaient les procédés par lesquels on arrachait des réponses à un malheureux qui avait rarement assez d’énergie pour ne pas confesser le faux comme le vrai dans les angoisses de la douleur. L’ordonnance de 1670, réglant ce qui se pratiquait déjà, veut que le prévenu soit interrogé trois fois, avant, pendant et après la question. Le dernier interrogatoire s’appelait interrogatoire sur le matelas, du nom du matelas où l’on étendait le patient après l’horrible traitement qui lui avait été infligé. Par un monstrueux abus des mots, quand, pour échapper à la douleur, le prévenu promettait des aveux si on voulait faire cesser le supplice, le procès-verbal déclarait généralement, ainsi qu’en font foi les registres du Châtelet, que les réponses données par l’accusé étaient faites sans force ni contrainte, quoique visiblement ce fût la préoccupation d’échapper à la souffrance qui avait amené la promesse des aveux, et ces aveux, il lui arrivait souvent de les rétracter ensuite. L’on voit en plus d’un procès-verbal poser à l’accusé cette naïve question : Pourquoi avez-vous confessé ce que vous déniez maintenant ? Et l’accusé de répondre : Parce que je souffrais ! Que, dans les derniers temps de l’ancien régime, on ne mît à la torture que les accusés sur lesquels pesaient déjà les présomptions les plus graves, cela est incontestable ; mais on n’en risquait pas moins de tirer de l’innocent des aveux imaginaires, surtout d’arracher du prévenu des réponses qui pouvaient aggraver outre mesure sa culpabilité. C’était si bien par la terreur qu’on entendait agir sur l’esprit de l’accusé, que lors même que celui-ci, par son âge, la débilité de sa complexion, ses infirmités, avait paru ne pouvoir être soumis à la torture, on ne l’en faisait pas moins passer par la chambre de la question ; on étalait devant lui les terribles instrumens, afin que la crainte du tourment lui arrachât des aveux. Ce mode d’instruction avait de plus l’épouvantable inconvénient d’exposer à la mort ou à être à tout jamais estropiés des prévenus qui ne devaient pas être condamnés à la peine capitale. Bien que, au moins depuis le XVe siècle, le législateur eût prescrit de ne pas briser les membres au patient, les exemples de tels accidens n’ont pas été rares. Barthole, célèbre jurisconsulte italien, qui vécut dans la première moitié du XIVe siècle et fut longtemps une autorité pour l’école, s’était montré dans l’exercice de ses fonctions judiciaires d’une dureté, d’une inhumanité excessives ; il raconte lui-même que, se