Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 23.djvu/264

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

midi de la France pour la poursuite des crimes d’hérésie et de magie, et de l’inquisition, des tribunaux ecclésiastiques, un tel usage passa bientôt en cour laie. On peut, écrit au XIIIe siècle Ph. de Beaumanoir dans son livre célèbre sur les Coutumes de Beauvoisis, au lieu de se porter accusateur, se borner à dénoncer le fait incriminé au magistrat qui agit alors comme il l’aurait fait, s’il y avait notoriété publique. Un tel système était sujet à un inconvénient inverse de celui qu’offrait le système auquel il tendait à se substituer. Les dénonciations se firent légèrement, elles furent parfois inspirées par la rancune et la haine ; elles se multiplièrent tellement qu’elles menacèrent la sécurité de tous. Les délateurs devinrent, comme ils l’avaient été au Ier siècle de la Rome impériale, un fléau public ; aussi dut-on prendre des mesures pour arrêter cet abus. Une ordonnance de 1303, relative à la juridiction municipale de Toulouse, prescrit que chaque dénonciateur donne son nom et déclare qu’il sera puni par le tribunal s’il est trouvé calomniateur. Une autre ordonnance de la même, année, et rendue pour la même ville, dispose que les juges doivent eux-mêmes dédommagement à l’inculpé quand après son arrestation il a été prouvé que les soupçons invoqués contre lui ne reposaient sur aucun fondement. En divers pays, on astreignit le dénonciateur à fournir caution et à prêter le serment de calumnia, que l’on trouve déjà mentionné dès la fin du XIIIe siècle et que relate une ordonnance de 1338 ; mais ces garanties exigées retinrent souvent les dénonciateurs, et, dans l’intérêt de la répression, le magistrat finit par admettre qu’une simple plainte à lui adressée ne serait pas considérée comme une dénonciation. Désormais les individus lésés se contentèrent d’être plaignans, et c’est ce qui fit tomber en désuétude les précautions prises contre les dénonciateurs, ainsi que les pénalités éventuelles édictées contre eux. Au XVIe siècle prévalut tout à fait le principe que la poursuite et la punition des crimes ne doivent plus être laissées à l’arbitraire des particuliers, qu’il est du devoir du juge d’informer quand un délit ou un crime vient à être commis et qu’il ne doit point attendre qu’il en soit requis par les parties civiles et intéressées, comme le disent les ordonnances de 1536, de 1560 et de 1579.

La justice criminelle perdait donc peu à peu son caractère de vindicte personnelle pour en revêtir un plus pur et plus élevé, mais elle garda encore, même dans les juridictions royales, à certains égards le caractère fiscal qu’elle offrait au temps de la féodalité. Le juge condamnait à des amendes ; la cour de justice pouvait prononcer la confiscation des biens pour certains cas, et tout cela grossissait les revenus du domaine royal ; aussi le roi avait-il un intérêt particulier à ce que les coupables dont la condamnation devait