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corporelles et parfois de fort cruelles étaient prononcées pour de grands crimes, c’étaient plus ordinairement des amendes que le magistrat, entouré de ses conseillers, édictait contre le coupable, c’est-à-dire le perdant, et l’on retrouvait là la trace du wehrgeld, des compositions de l’ancien droit germanique ; mais, à la différence de ce qui s’était dans le principe pratiqué, l’amende, au lieu d’être surtout destinée à indemniser la victime, l’offensé ou les siens, revenait presque tout entière au seigneur et à son représentant. La justice prenait ainsi un caractère purement fiscal, et les nobles en réclamaient l’exercice, spécialement en vue des profits qu’elle rapportait. Le seigneur et son préposé (prévôt, bayle, bailli, etc.) avaient intérêt à condamner le plus possible. Les causes criminelles, comme les causes civiles, devenaient un nouveau moyen d’exaction, et l’abus en arriva à ce point que le roi dut interdire aux prévôts qui affermaient les amendes de connaître des affaires de nature à donner lieu à ce genre de condamnation. Les causes criminelles les plus importantes furent directement renvoyées aux sénéchaux, qui représentaient, suivant la nature du domaine, la couronne ou le grand feudataire, tenaient la cour féodale, le tribunal suprême, et c’est à eux en bien des provinces qu’il appartint de taxer les amendes. Dans le domaine royal, les grands baillis remplirent, à dater de la fin du XIIIe siècle, des fonctions analogues ; ils protégèrent le sujet, le vassal, molesté dans ses droits contre l’arbitraire du baron, et appelèrent souvent à leur tribunal le seigneur accusé d’un crime, quand celui-ci n’était pas de ces feudataires importans relevant directement du roi, justiciables seulement de la cour des pairs, devenue ensuite le parlement[1]. Quant aux vilains, aux manans, aux roturiers, ils avaient pour juges de leurs délits et de leurs crimes le prévôt, officier de police du seigneur, qui prononçait dans la plupart des contestations entre gens de sa prévôté, qui jugeait les délits et les crimes dont avait eu à souffrir quelque sujet de son maître. Plus l’homme était bas placé sur l’échelle sociale, moins il était protégé contre l’arbitre du juge, moins la présence des assesseurs ou jurés dont le juge devait s’entourer offrait pour lui de garantie, plus ses simples méfaits couraient risque d’être confondus avec des crimes et punis comme tels. Au contraire, les gens puissans, les nobles, pour échapper à la condamnation qu’ils avaient pu encourir, composaient avec la victime, payaient le juge, et cet abus était encore au milieu du XIVe siècle l’objet des réclamations des états-généraux. On voyait donc sans

  1. Voyez, dans la Revue du 15 octobre 1873, l’étude intitulée : l’Administration française avant la révolution de 1789. — Les Origines de l’administration royale.