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le cercle d’un prétoire, ils sont l’embarras des juges et des gouvernemens encore plus que du prévenu. S’il y a une condamnation, elle sera respectée comme tout ce qui vient de la justice, elle n’aura rien décidé, elle laissera du moins intacte la seule question sérieuse. S’il y a un acquittement, on aura doublé le retentissement et la portée du discours poursuivi, c’est le gouvernement qui se trouve atteint, désavoué dans sa tentative, convaincu d’avoir recherché une répression complaisante. Si entre l’acquittement complet et une condamnation rigoureuse il n’y a qu’une peine légère, un minimum de sévérité, ce n’est qu’une vaine satisfaction, une manière de sauver l’amour-propre. De toute façon, le gouvernement risque de s’être assez mal embarqué en engageant ce procès contre un homme qui a pu parler en adversaire, même en adversaire passionné, non en factieux, évident et avéré. Qu’est-ce donc lorsqu’il s’agit de cette multitude de poursuites organisées de toutes parts contre des journaux, contre des manifestations souvent sans importance, de cette guerre de broussailles à laquelle on se livre contre tout ce qui est suspect, de ce réseau de répression judiciaire ou administrative tendu sur le pays entier ? tous ces actes faciles à éviter, presque toujours inutiles ou inefficaces, qui ne sont que de l’autorité et du temps perdus, ces actes n’ont d’autre résultat que d’imprimer à l’action du gouvernement le sceau d’une politique impatiente qui fait trop ou trop peu, qui inquiète sans intimider, qui semble livrée à des inspirations contradictoires, et ne réussit pas toujours à se fixer, à se préciser dans sa marche.

S’il n’y avait aujourd’hui en France que M. Gambetta, s’il n’y avait dans l’opposition que des radicaux, le ministère pourrait peut-être se faire illusion et se promettre quelque succès d’un coup frappé à propos ; mais il sait bien que l’orateur de Lille, quelle que soit sa position parlementaire, n’est pas tout, que parmi ceux qui ont considéré, qui considèrent encore le 16 mai comme un danger, il y a autre chose que des radicaux, il y a cette masse d’opinion sensée, pratique, prudente, qui répugne aux aventures de réaction aussi bien qu’aux aventures révolutionnaires. Lorsque tout récemment M. Thiers, en témoignant sa confiance dans l’issue des élections, rappelait avec une prévoyante insistance ce qu’il a toujours dit sur la nécessité de maintenir la république dans les voies conservatrices, il ne parlait point assurément en radical, il exprimait cette opinion moyenne, ce sentiment assez général que le gouvernement rencontre devant lui.

Depuis quelques semaines, les discours se sont succédé ailleurs qu’à Lille. L’ancien ministre de l’instruction publique, M. Waddington, M. de Saint-Vallier, assistant à un banquet dans le département de l’Aisne, ont parlé des affaires intérieures et extérieures de la France, de la crise du 16 mai, de la nécessité des garanties libérales et parlementaires dans la république constitutionnelle. M. de Marcère, M. Christophle, ont saisi