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universitaire céder à de regrettables entraînemens et s’insurger contre ses maîtres ; on n’entend pas qu’elle aille à Canossa, mais on ne veut pas non plus qu’elle se retire sur le mont Aventin. Que la jeunesse soit jeune, le mal n’est pas grand ; on lui pardonne bien des folies, il lui sied de prendre parti pour toutes les victimes et de se créer des idoles ; elle en reviendra. Encore faut-il joindre à l’enthousiasme un peu de discernement. Autrefois la jeunesse allemande choisissait mieux ses idoles ; ce n’étaient pas des dieux de rencontre, elles étaient avenantes et faisaient dans le monde une grande figure. Que voulez-vous ? il faut se contenter de ce qu’on a, et depuis quelque temps la taille des dieux a beaucoup diminué. On s’est affligé aussi du rôle considérable que le socialisme a joué dans cette affaire et de l’influence croissante qu’il exerce a Berlin, comme il l’avait déjà prouvé dans les dernières élections. Naguère encore Berlin était la capitale du progressisme allemand, il y régnait en maître ; un rival rai est né, qui se remue beaucoup pour le déposséder. On ne peut s’empêcher de se souvenir à ce propos que jadis M. de Bismarck s’est amusé à nouer des intelligences avec certains meneurs du parti socialiste, dans le dessein de faire pièce à la bourgeoisie libérale. Cette sorte de jeu a toujours des conséquences ; nous ne savons ce que le chancelier de l’empire a pensé de l’incident Dühring. Au demeurant, il y aura des utopistes jusqu’à la consommation des siècles, car l’utopie répond à d’indestructibles instincts de la nature humaine ; mais quand elle devient subversive, menaçante et dangereuse, la société se sent malade et doit s’en prendre à elle-même. Les scandales qui se produisent dans les hautes classes et certains brigandages de bourse fournissent au socialisme brutal de puissans moyens de propagande. Quelquefois aussi les hommes d’état travaillent pour lui : rien n’est plus propre à avancer ses affaires que les exemples donnés par un gouvernement dont la politique plus hardie que scrupuleuse n’enseigne pas aux peuples le respect des droits acquis, et les accoutume à croire que la force est toujours admirable, que le succès a toujours raison. L’Allemagne n’a-t-elle rien à se reprocher ? L’Allemagne a-t-elle la conscience et les mains nettes ?


G. VALBERT.