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Le pape, constamment malade et à peu près hors d’état de s’occuper d’affaires dogmatiques, ne s’était guère mêlé jusque-là de cette question du jansénisme ; mais, averti par son ministre, il lui permit d’exprimer à l’abbé Charrier ses craintes à ce sujet et de lui faire entrevoir l’impossibilité d’une promotion si le coadjuteur ne se prononçait pas d’une manière nette et catégorique contre cette opinion plusieurs fois condamnée par le saint-siège. L’abbé, surpris de cette complication imprévue, avertit sur-le-champ le coadjuteur, et celui-ci lui répondit sans paraître fort ému : « Pour ce qui est du jansénisme, je doute fort que ce soit là le fond de la pensée de la cour de Rome. Vous savez comme il faut parler sur ce sujet dans le public, mais en particulier vous pourrez témoigner que le moyen de m’engager dans cette affaire serait le refus que l’on me fait, et que ce m’est une occasion assez avantageuse pour témoigner mes ressentimens… » — « Si l’on vous presse encore sur le jansénisme, disait-il à la fin de sa lettre, dites que vous croyez qu’il m’est si injurieux que l’on témoigne seulement le moindre doute sur mon sujet, que vous n’avez pas osé m’en écrire de peur de m’aigrir trop l’esprit en me faisant voir que l’on joint au mépris que l’on a pour moi des doutes ridicules. »

Le coadjuteur avait remis à l’abbé Charrier, avant son départ pour Rome, un certain nombre de blancs-seings, afin qu’il pût les remplir en cas d’urgente nécessité. Pressé vivement par l’abbé d’écrire au pape une lettre de sa main afin de se disculper du soupçon de jansénisme, le coadjuteur lui répondit d’un ton plaisant et dégagé : « Je n’écris pas par cette voie au pape, parce qu’il est trois heures du matin et que je n’écris tout à fait si vite en italien qu’en français, et que de plus vous êtes un rêveur de me demander des lettres, puisque vous avez des blancs-signés de quoi en faire de plus « éloquentes que moi, vous qui êtes tout frais émoulu et véritablement Fiorentino[1]. » L’abbé, tout glorieux de cet éloge et pour le justifier de son mieux, tourna une lettre de sa façon contre le jansénisme et la présenta sous la signature du coadjuteur à Monsignor Chigi, afin de calmer ses inquiétudes et dissiper ses soupçons. La lettre était conçue en termes équivoques afin qu’au besoin le coadjuteur la pût désavouer. Mis en verve et en belle humeur par ce tour à l’italienne, le coadjuteur répondit à l’abbé : « Je savais déjà ce que vous aviez fait en votre dernière entrevue du pape, et tout l’entretien que vous avez eu avec M. Chigi sur le jansénisme, et comme quoi, pour l’amuser, vous aviez fait une fausse lettre que j’approuve fort. Ce n’est pas, poursuivait-il d’un ton plus grave, que je ne fusse dès lors bien surpris du caprice de ces messieurs et

  1. 25 novembre 1651.