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nous n’en sommes pas là. Il faut avouer que nous rencontrons une multitude de lacunes, lorsque nous cherchons à établir d’une manière rigoureuse les filiations des êtres anciens, Ce que nous savons est peu de chose comparativement à l’indéfinie richesse des formes enfouies dans le sein de notre terre, et ce serait grand hasard qu’ayant encore rassemblé seulement quelques anneaux des chaînes du monde organique, nous ayons justement mis la mais sur les anneaux qui se suivent.

Mais c’est déjà un curieux résultat que de découvrir des parentés là où nous n’apercevions que des entités isolées les unes des autres. Au milieu des difficultés qu’offre le groupement des êtres innombrables de la nature passée et présente, le moindre trait d’union devient précieux. La recherche des enchaînemens des anciens êtres intéresse surtout les géologues, qui tâchent de reconnaître l’âge des terrains au moyen des fossiles qu’ils renferment. Autrefois ils étaient obligés de retenir la longue liste des espèces notées comme les plus caractéristiques de chaque étage. Si la doctrine de l’évolution est vraie, la détermination de Page des couches fossilifères deviendra un travail de raisonnement plutôt qu’un travail de mémoire. Du moment qu’il sera admis que, dans nos pays, les mammifères ont eu un développement progressif, il pourra quelquefois suffire, pour déterminer l’âge d’un terrain, de considérer le degré d’évolution auquel sont parvenus les animaux dont il renferme les débris.

Par exemple, lorsque nous voyons des assises où les mammifères sont nombreux, mais encore presque tous différens des genres actuels, et ne présentent pas ces divergences extrêmes dont les animaux supérieurs offrent aujourd’hui le spectacle, quand nous ne rencontrons ni vrais ruminans, ni solipèdes, ni proboscidiens, ni singes, il y a de grandes probabilités pour que nous soyons en face d’une formation éocène. Voici maintenant des couches où les genres actuels sont moins rares, où les marsupiaux sont sur le point de disparaître, où certains pachydermes tendent vers les solipèdes, où quelques animaux ont les caractères de véritables ruminans, nous pouvons penser que le dépôt de ces couches appartient à la première moitié de l’époque miocène. Lorsqu’un terrain est rempli de fossiles qui montrent la classe des mammifères parvenue à son apogée, quand il n’y a plus de traces de marsupiaux, que les animaux supérieurs se multiplient sous la forme de ruminans, de solipèdes, de cétacés, d’édentés, de proboscidiens, de carnivores, de singes, et que non-seulement la diversité des mammifères augmente, mais aussi leur fécondité, de sorte que des accumulations d’ossemens révèlent l’existence d’immenses troupeaux, et lorsque, malgré tant de similitudes avec le monde actuel, nous trouvons de