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d’imitation en est sorti sous toutes les formes. Ce fils de l’égalité menteuse a tout contrefait, l’or, l’argent, les pierres précieuses. Mais combien de sortes de luxe qu’on n’imite pas ! Combien de jouissances qui ne se contentent pas ainsi d’apparences ! Qu’importe encore une fois que la qualité soit médiocre ? La passion qui brûle le cœur ne l’est pas ; elle agit avec une durée, une violence qui surprend. Que ce mal individuel puisse devenir un mal social, un écueil pour ce qu’il y a de vrai et de bon dans la démocratie, comment s’en étonner ? Indiquez-nous, si vous l’avez découvert, le moyen de contenter des besoins si singulièrement à la fois vagues et positifs, infinis et impatiens ! Quand la masse est atteinte de cette maladie, où est le remède ? Qu’on s’agite tant qu’on voudra, il n’y en a point. On croit le voir dans les combinaisons de la politique, dans les arrangemens d’une économie sociale qui provoque de nouvelles organisations du travail, du capital et du crédit. On s’aperçoit que ce n’est qu’un leurre ; ce n’est pas davantage avec les jouissances gratuites, intermittentes, du luxe public, qu’on apaisera cette agitation. Sourd et continu, ou éclatant par des convulsions et des crises, ce mal ne cesse d’entretenir une inquiétude. que rien ne calme et qui peut, si cet état durait, devenir mortel au corps social qu’il mine lentement ou jette dans des alternatives de fureur et d’abattement. Dites, oui, dites-nous, où est le point d’arrêt. La démocratie est alors dans la situation morale où nous avons vu le despotisme, elle veut l’impossible, elle rêve l’incroyable et l’illimité ! A un tel mal, la religion et la morale indiquent des moyens de guérison ; le monde extérieur avec ses jouissances et la société avec ses arrangemens économiques ou politiques n’ont qu’à confesser leur impuissance.

Conclusion inévitable : ni l’histoire, ni l’analyse philosophique ne permettent l’optimisme dans la manière d’apprécier aucune forme de gouvernement quant à cette passion des jouissances sensuelles ou vaniteuses auxquelles on a donné le nom générique de luxe. Les partisans de chacune de ces formes ont fait les plus frappans tableaux du luxe abusif développé par les institutions qu’ils condamnent. Ces tableaux sont en général exacts, quoique parfois trop chargés en couleur. La monarchie et l’aristocratie n’ont pas manqué d’être l’objet de ces peintures vengeresses. A tort l’esprit démocratique, qui les a tracées plus d’une fois, se croirait exempt des dangers que la question soulève. Aucune forme sociale et politique n’a le droit de le prendre ici sur le ton d’une supériorité hautaine, et de se livrer aveuglément à une fière et confiante sécurité.


H. BAUDRILLART.