Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 23.djvu/154

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

même est devenue une affaire d’état, faudra-t-il compter les trafics de places, les intrigues secrètes, les marchés où les intérêts publics sont sacrifiés, où la situation même du pays est compromise au dehors par des choix indignes, par des menées qui prennent pour point d’appui l’intérêt, le caprice, la fortune d’une femme ! Il est étrange que ce soit la conséquence d’un progrès, — l’importance morale et sociale rendue à la femme par les nations occidentales et chrétiennes, — et n’y a-t-il pas lieu de s’étonner qu’il faille voir dans la domination d’une courtisane l’effet indirect des idées qui furent répandues dans le monde par la chevalerie ?

Les arts prêteraient au même parallèle, où l’on trouverait la monarchie absolue supérieure, malgré ses vices, au despotisme pur, qui n’a guère mis sur eux la main que pour les corrompre. Il n’a produit en effet ou encouragé à se produire que des choses excessives et de mauvais goût, tantôt des colosses qui rappellent la nature violente et l’ambition disproportionnée à l’humanité où éclate la nature de ce régime, tantôt des œuvres d’une grâce fausse, d’un genre maniéré, d’une mollesse affadie. Dans ces œuvres sans âme, la sensualité énervée domine, quand ce n’est pas la débauche qui s’y étale. Tel sera l’art efféminé du temps des Néron et des empereurs byzantins, ou plutôt tel sera l’art partout où le despotisme s’établira, si les arts subsistent sous son ombre. La monarchie absolue n’a pas été sans mériter plus d’une fois les mêmes reproches sous ce dernier rapport. Elle a paru se complaire aussi dans ces œuvres que n’anime aucun souffle moral ; mais elle n’a pas fatalement suivi cette loi d’abaissement. La protection des arts, comme des sciences et des lettres, y remplit plus d’une page glorieuse. On l’a vue porter même dans le luxe, poussé jusqu’à des limites bien reculées, la grandeur et le goût, conformes au naturel du prince et au caractère du siècle, qui s’est empreint dans toutes les œuvres nées de son génie.

Le luxe public fait naître des observations analogues. S’il a eu de fâcheux côtés, il en a eu de meilleurs qu’on ne saurait méconnaître à ces époques où, la masse s’identifiant avec la monarchie, le luxe royal semblait devenir le luxe national. Telles sont ces cérémonies et ces pompes dont la monarchie marquait toutes les grandes dates de son existence. Ces momens d’enthousiasme sont comme l’âge d’or des monarchies. Plus tard la réflexion vient avec le désenchantement. Il arrive même que le peuple, livré naguère à une satisfaction irréfléchie, se montre plus d’une fois injuste, amer, dénigrant. Dans ces temps de scepticisme mécontent, tout luxe royal l’offense, et toute solennité blesse ses regards, — sentiment qui, lorsqu’il éclate en pleine prospérité, annonce qu’une heure fatale a sonné : la monarchie fondée sur l’enthousiasme a