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invincible justice s’oppose à ce que l’on compare le plus magnifique et le plus fastueux, comme le plus absolu d’entre eux, à ces empereurs qui firent asseoir sur le trône de l’univers un luxe pervers et insensé. On cite des bravades de prodigalité imputables à notre noblesse. Soit : tout ce qu’on soutient ici, c’est que cette sorte de luxe qui jette un défi à la nature, dépense pour dépenser, détruit pour détruire, tient sensiblement moins de place dans nos sociétés, et joue un bien moindre rôle dans les monarchies modernes. Je ferai seulement quelques rapprochemens. Les temps modernes ont vu de capricieuses maîtresses de rois se permettre toutes les fantaisies dispendieuses : elles ont pu se montrer aussi jalouses d’étaler des perles qu’une Cléopâtre ; il est douteux qu’aucune aurait eu l’audace, si elle en avait eu l’idée, de dissoudre et d’avaler ces perles précieuses par un jeu insensé. Je chercherais en vain dans le luxe des tables quoi que ce soit d’analogue à ces ridicules plats d’oiseaux parleurs et chanteurs dont l’unique mérite était de coûter des sommes folles. Si le luxe de la monarchie absolue a pu sacrifier des hommes pour arriver à ses fins, il ne s’est pas complu dans l’idée abominable, si fréquente chez ces âmes profondément perverties, que c’était là une nouvelle saveur ajoutée au plaisir que l’on goûtait. C’est là une distinction qu’on ne saurait effacer sans nier ce progrès relatif qui diminue le mal, même quand ce mal reste effrayant, ce qui est le cas de la monarchie absolue.

Je n’ai garde ici d’entrer dans les détails ; il suffit que ce soit presque un lieu commun que de rappeler les abus fastueux qui forment une partie considérable de son histoire. On a décrit ses fêtes excessives, ses profusions sans limites, ses palais où un luxe ruineux était le ton obligé des courtisans. On sait que sa domesticité formait tout un monde, une organisation hiérarchique, et que dans ces maisons royales la dépense semblait croître avec l’inutilité de l’emploi. Des milliers de fonctions parasites et le seul train de la vie quotidienne engloutissaient des sommes supérieures à celles qui défrayaient d’importans services. Il ne suffirait pas aujourd’hui, alors que tant de moyens de connaître à fond ces abus s’offrent à nous, de les rappeler en termes généraux. On ne peut non plus les couvrir du voile d’une sorte de complicité, comme Voltaire le fait quelquefois au sujet de Louis XIV, à cause de l’éclat qui s’y est mêlé. Non pas qu’on puisse contester non plus, avec les historiens qui se complaisent à dénigrer le passé, à une grande monarchie, dans les conditions historiques où elle s’était constituée, une part légitime de représentation et de splendeur ; mais, sans crier trop tôt à l’abus, et sans puritanisme pédantesque, on a le droit de pénétrer jusque dans les détails de ce luxe de cour, véritablement sans limites ni réserve, parce qu’il était sans contrôle. La partie de