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fera justice au pauvre. » Il paraphrase ce sublime anathème d’Isaïe contre les despotes : « Malheur aux pasteurs d’Israël qui se paissent eux-mêmes. Les troupeaux ne doivent-ils pas être nourris par les pasteurs ? Vous mangiez le lait de nos brebis, et vous vous couvriez de leurs laines… Vous n’avez pas fortifié ce qui était faible, ni guéri ce qui était malade, ni remis ce qui était rompu, ni cherché ce qui était égaré, ni ramené ce qui était perdu ; vous vous contentiez de leur parler rudement et impérieusement… Et voici ce que dit le Seigneur : « Je rechercherai mes brebis de la main de leurs pasteurs, et je les chasserai, afin qu’ils ne paissent plus mon troupeau et ne se paissent plus eux-mêmes, et je délivrerai mon troupeau de leur bouche, et ils ne le dévoreront plus. » Et pourtant Bossuet écrit : « L’autorité royale est absolue. » Il l’entoure pour la contenir du cortège des vertus chrétiennes, il la menace de la colère divine, il trace enfin un idéal de royauté qui serait admirable, si des freins tout moraux suffisaient à refréner les passions humaines. La même distinction se retrouve dans Montesquieu. « Point de monarque, écrit-il, point de noblesse ; point de noblesse, point de monarque, mais un despote. » Une hiérarchie héréditaire entoure, soutient, et, dans une certaine mesure, contient la monarchie absolue, tandis que le despotisme n’est qu’une société d’égaux sous un maître. Voilà ce que Montesquieu marque admirablement. La distinction n’est donc pas vaine, et elle est loin d’être sans conséquences quant au luxe. Il serait peu équitable d’assimiler les excès de luxe de la monarchie française, même au temps où elle se rapprochait le plus de la monarchie absolue, à ce luxe effréné du despotisme oriental et romain. Il est vrai qu’on s’est plu à atténuer et ce luxe romain lui-même et ces excès chez les empereurs, en montrant chez nous un luxe qui atteindrait à des proportions supérieures encore. J’avoue que je ne saurais souscrire à ces conclusions, déjà indiquées dans la célèbre Histoire romaine de M. Mommsen, et qu’a développées un érudit, M. Friedlænder, dans un tableau des mœurs romaines depuis Auguste jusqu’à la fin des Antonins. Je crains que l’auteur allemand n’ait trop confondu l’étendue du luxe avec ses excès. Les anciens possédaient moins de richesse et moins d’objets de luxe, mais ils en abusèrent, nous persistons à le croire, bien davantage. Il n’importe guère qu’on allègue la magnificence coûteuse de tels repas ou de telles fêtes donnés à des jours exceptionnels dans nos palais ou nos hôtels de ville. Ces dépenses et toutes celles de luxe sont loin de prendre, autant qu’à Rome, sur l’ensemble des revenus particuliers et publics. Elles n’ont pas le caractère extravagant qu’on reproche souvent à bon droit au luxe romain et en particulier à celui des empereurs. Je ne prétends taire aucune des profusions scandaleuses de nos rois ; mais une