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que Montesquieu que la république romaine a passé les trois quarts de son existence à ne pas être vertueuse et à abuser du luxe ?

Et pourquoi cet échafaudage si ingénieusement laborieux ? Pour aboutir à reconnaître qu’en fait le luxe s’est montré souvent pernicieux sous la monarchie jusqu’à en ébranler le principe et l’existence même. C’est au sujet de la Chine qu’il le démontre en fort beaux termes. N’y a-t-il donc qu’en Chine que pareille chose se soit vue ? N’est-ce qu’en Chine que des dynasties qui avaient commencé par les mâles vertus des conquérans ont fini par une série de successeurs amollis par le faste et les délices ? L’auteur des Lettres persanes, si habitué aux malignes allusions, n’a d’yeux ici que pour la Chine. Il ne fait sur d’autres pays plus rapprochés aucun retour direct ni indirect ; c’est bien sur les vingt-deux dynasties chinoises qu’il épuise sa sévérité. Aussi les lois somptuaires seront-elles excellentes en Chine pour ce motif et pour d’autres fort contestables ; mais si elles sont bonnes à Pékin, pourquoi ne le seraient-elles pas à Paris ? Ou plutôt seront-elles efficaces quelque part ? Nous dira-t-il qu’il n’en faut pas en France, où la monarchie repose sur l’honneur et sur la nécessité de beaucoup dépenser ? Je ne sais pas bien ce que la cupidité des nobles contemporains de Law et du régent avait de commun avec l’honneur, mais j’avoue que, quant à la nécessité de beaucoup dépenser, tous, princes et riches, s’en acquittèrent à merveille jusqu’en 1789, Finissons-en avec ces remarques, qui n’impliquent à aucun degré l’idée de rabaisser un monument autour duquel l’ignorante indifférence de la foule peut faire le vide, sans en lasser les amis des pensées fortes en philosophie politique et en histoire Montesquieu n’est pas le seul homme de génie qui se soit montré habile à voir clair où les autres ne découvrent rien, sans savoir toujours discerner ce que d’autres plus médiocres aperçoivent clairement avec des yeux ordinaires.

C’est ce qui nous encourage à dire quelques mots des rapports du luxe avec la monarchie. Il faut mettre à part le despotisme pur. Ce pouvoir d’un autocrate qui s’exerce sans nulle limité en droit ni en fait ne peut être entièrement confondu avec la monarchie absolue, telle que l’ont connue les modernes, et notamment la France ; cette sorte de gouvernement, quels qu’en aient été les abus, n’existe guère sans rencontrer quelques barrières légales ou du moins morales. A plus forte raison, ces deux formes ou, si l’on veut, ces deux nuances tranchées se distinguent de la monarchie tempérée, représentative ou constitutionnelle. Celle-ci semble offrir avec les précédentes non plus seulement une différence de degré, mais de nature. Elle admet le droit populaire à sa base et dans son exercice même. Elle se meut dans le cercle régulier, infranchissable, des constitutions et des lois.