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LE LUXE
ET
LES FORMES DE GOUVERNEMENT

La plupart des écrivains politiques ont consacré aux rapports de l’état avec le luxe privé et le luxe public des considérations plus ou moins étendues. En outre, il a fallu que les législateurs donnassent une solution à ces questions, qu’on peut placer au nombre des plus difficiles, car il s’agit de fixer des limites toujours indécises et flottantes entre le rôle du gouvernement et l’action individuelle. Pendant un long passé qui comprend presque toute l’antiquité, l’état exerce sur la vie privée un empire à peu près illimité. Le législateur, maître de l’éducation comme de la religion, de la propriété elle-même et de l’industrie, n’éprouve aucun scrupule à régler comme il l’entend le luxe des particuliers. Le vêtement, la table, le train de la vie tout entier, ne sont pas hors de sa compétence. C’est seulement affaire de plus ou de moins, et Solon ne fait qu’user modérément d’un droit que Lycurgue pousse jusqu’à l’anéantissement de la liberté individuelle. De même, dans l’ordre philosophique, Aristote, partisan de la propriété au nom déraisons toutes pratiques, n’en a pas plus la conception théorique comme droit que Platon, qui la détruit dans sa République. Plus tard la sphère des droits individuels s’étend là comme ailleurs ; mais il s’en faut que toute prétention réglementaire ait disparu. La loi prétend encore fixer un maximum à certaines consommations. Plus le principe monarchique s’affermit et plus prévalent les souvenirs du droit romain, plus cette intervention devient fréquente. Ne croyons pas que toute question de ce genre ait disparu avec la grande émancipation de 1789. On faisait encore des lois somptuaires sous Louis XV ; on n’en fait plus aujourd’hui, il est vrai, mais on continue à s’enquérir si, dans la taxation de certains produits et de certaines branches