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connaissances, on peut dire qu’elles sont sans doute insuffisantes sur quelques points, et qu’ils sont rarement disposés à proposer des améliorations dont ils ne sont pas les inventeurs. L’ingénieur en chef des ateliers maritimes de la maison Elder de Glascow, laquelle a construit les vapeurs de pêche d’Arcachon, et où l’on voit souvent en chantier une série de navires mesurant ensemble jusqu’à 30,000 tonnes, disait un jour : « Les ingénieurs du gouvernement français sont plus savans que nous ; mais ce sont des théoriciens, ils n’ont pas notre pratique, et ils acceptent difficilement les modifications auxquelles nous arrivons par l’expérience de chaque jour. » L’Anglais avait raison et aurait pu étendre ses critiques. Les améliorations introduites depuis peu dans nos chemins de fer sous le rapport de la vitesse des trains, de la commodité des voyageurs, existent depuis fort longtemps aux États-Unis, en Angleterre, en Allemagne, en Suisse, et l’on croit que leur application chez nous est le résultat de découvertes françaises !

Que de choses n’y aurait-il pas encore à dire se rattachant à la place de Bordeaux ! L’état n’est pas le seul coupable, et il ne faut pas l’accuser de tous les maux, les citoyens y ont leur part. La lutte avec l’étranger est malaisée, à qui la faute ? L’importance et l’utilité des docks, qui sont indispensables au commerce et le complément de la navigation à vapeur, sont encore mises en doute par la majorité des Bordelais. Même dans la chambre de commerce de Bordeaux, il existe en cette matière des incrédules. Très peu d’entre eux ont visité Londres, Liverpool, parcouru les immenses docks de la Mersey ou de la tamise, et lorsqu’on leur dit que dans ces ports un steamer de 500 tonneaux peut être déchargé et chargé en moins d’un jour, ils ne veulent pas y croire, lèvent les épaules et citent avec satisfaction ce qui se fait chez eux.

Telle est la situation pour Bordeaux. Elle appelle, autant qu’à Marseille, une attention vigilante, une réaction vigoureuse, et l’on aurait tort, dans la métropole girondine, de s’endormir dans un repos trompeur. Ici, de nouveau, il faut lutter pour vivre, il faut veiller à ce que fait le voisin, l’étranger, sinon un jour le péril pourrait être des plus graves et même mortel, alors qu’il ne serait plus temps d’aviser. Il ne faut pas que Bordeaux se contente d’exporter ses vins, il faut que cette ville s’étudie de plus en plus à devenir une grande place d’entrepôt, desservant une partie du marché français et espagnol, et en même temps une grande place industrielle, mettant en œuvre les matières premières indigènes et celles qui viennent de l’étranger. À ce prix seulement, l’avenir peut être entièrement assuré et digne du passé de Bordeaux.


L. SIMONIN.