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De tous ces étangs, celui d’Arcachon est le plus connu, a été le mieux utilisé. C’est le seul qui communique directement avec l’Océan. Il présente sur les flots une passe étroite. Naguère on ne voulait rien moins que faire de cet étang le grand port de Bordeaux, une sorte de port fermé, comme quelques-uns entendent faire pour Marseille de l’étang de Berre. L’un des projets ne réussira pas plus que l’autre, car les villes, les ports de mer ne se déplacent pas, ne se remplacent pas ainsi au gré des caprices d’un cartographe. Ce qu’il fallait faire à Arcachon, on l’a fait. On en a fait, par suite du voisinage de l’Océan, par la pêche à vapeur et l’ostréiculture, une fabrique d’alimens marins ; on en a fait, tirant parti d’un climat exceptionnellement uniforme et doux, une station balnéaire pour l’été et une ville d’hiver pour les débiles et les convalescens. Là où le terrain sableux ne valait absolument rien, il vaut aujourd’hui aussi cher qu’à Bordeaux. La mode a adopté cette localité. Tous les riches Bordelais, une partie des riches Parisiens, même des Espagnols, s’y rendent, et ni Royan dans la Charente-Inférieure, ni Biarritz dans les Basses-Pyrénées, n’arriveront à faire oublier Arcachon. Comme ville d’hiver, Arcachon le dispute également à Pau ; l’air y est aussi calme, la température aussi douce, et de plus l’atmosphère est imprégnée des émanations balsamiques des pins, si favorables aux poitrinaires. On rencontre à Arcachon l’hiver presque autant d’Anglais et d’Américains qu’à Pau. La vie y est alors paisible ; mais en été c’est une place animée, bruyante, joyeuse. Le Bordelais s’y rend avec toute sa famille, et chacun entend y passer au moins le dimanche, car l’endroit n’est distant, en chemin de fer, que d’une heure à peine de la métropole de la Gironde. Le long d’avenues bien tracées s’étendent de gracieuses villas, entourées d’arbres. Chacun s’est fait construire un chalet à sa guise, selon son caprice. Tous les styles y sont, depuis le corinthien jusqu’au moresque et au chinois. On dirait une de ces jolies villes américaines, élégante, capricieuse, proprette, comme on en voit tant aux États-Unis. Le modeste piqueur des ponts et chaussées qui, pour un morceau de pain, acheta il y a trente ans toute cette région des Landes, y est devenu plusieurs fois millionnaire.

La plage est basse, sableuse, doucement inclinée, sans danger pour le nageur. Çà et là sur l’étang sont des bas-fonds où l’on a établi des parcs d’huîtres. Celles-ci sont en partie expédiées directement à Bordeaux, à Paris, en partie envoyées dans les parcs de Marenness près Rochefort, où elles deviennent, à la suite d’une évolution curieuse, due sans doute à ce milieu nouveau, les huîtres vertes si vantées. Les gourmets de Rome connaissaient déjà celles-ci,