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bouteilles de lafite de 1811. Il n’est pas sûr qu’elles fussent aussi bonnes qu’au premier jour ; mais on a bu de certains crus, le château-la-lagune par exemple, qui se sont conservés intacts, même après quarante ans. Tous les vins de Médoc n’atteignent pas impunément cet âge. Dans tous les cas, il faut alors les décanter soigneusement. Les Anglais, les Belges, font usage pour cela de petits appareils fort ingénieux, sortes de chariots d’argent manœuvres par une manivelle et un engrenage à main. Le panier en osier tressé où l’on couche la bouteille, et qui est employé dans les restaurans de Paris, est inconnu des véritables dégustateurs ; mais ils apportent la plus grande attention à la mise en bouteilles, au bouchage et au choix du verre lui-même. Le liège doit être recouvert d’une capsule métallique ou d’un chapeau de cire d’Espagne pour que l’air et les insectes ne l’attaquent pas. Les soins donnés à la cave sont les mêmes que pour tous les autres vins.

Après les cinq classes de grands crus viennent ceux qu’on nomme respectivement les bourgeois et les paysans. Ici l’ordre de la classification est un peu arbitraire ; entre les deux, quelques-uns intercalent même ce qu’ils nomment les artisans. Dans chaque catégorie, il y a du reste les supérieurs, les bons, les ordinaires. Quelques-uns des bourgeois supérieurs mériteraient peut-être de monter au rang de grands crus. Dans les bourgeois, chaque vin encore a son nom, soit celui de la localité ou du château, soit celui du propriétaire ou de la nature du sol. Les noms génériques de Bordeaux, de Médoc, de Saint-Jullien, de Saint-Estèphe, dont on use si volontiers ailleurs, ne sont pas reconnus comme noms catégoriques de vins dans toute la Gironde. On y dit d’un vin ordinaire : c’est un vin du Fronsadais, du Blayais, du Bourgeais, du Libournais, ou encore c’est un vin de Graves, de Côtes, de Palus, d’Entre-Deux-Mers, en réservant toujours aux vins du Médoc le premier rang et même une place exceptionnelle, et en ne les citant jamais qu’avec le nom spécial du château et l’année de la récolte.

C’est à l’exposition internationale de 1855 que remonte la classification écrite officielle des grands crus de Médoc. Jusque-là les courtiers prononçaient seuls par une sorte de tradition séculaire. En 1855, on a pour ainsi dire gravé sur les tables la loi dictée par la coutume ; mais les lois changent avec le temps, et l’on comprend que depuis 1855 certains châteaux qu’on pourrait citer ont fait de tels progrès, introduit de telles améliorations dans la culture de la vigne et la fabrication du vin, que leurs produits mériteraient de monter d’un rang. Cela est vrai même pour quelques-uns des vins compris dans les cinq classes des grands crus. Ainsi le branne-mouton se réclame volontiers de la première catégorie, le château-la-lagune de la deuxième. Le commerce d’ailleurs ne s’y trompe