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REVUE. — CHRONIQUE.

sont des protées qu’il faut se résigner à saisir et à terrasser sous leurs multiples aspects. Puis les expériences ne réussissent pas toujours. Ainsi M. Colin a voulu répéter celle par laquelle M. Pasteur a cherché à démontrer que les vibrions étouffent les bactéridies. Il a pris deux gouttes de sang charbonneux frais et actif, les a mêlées intimement sur une lame de verre avec deux gouttes de sang très putride, riche en vibrions mobiles, et a inoculé le mélange à la manière ordinaire. Contrairement à ce qu’on aurait pu attendre, le vibrion de la putridité n’a point mis obstacle à l’évolution de la bactéridie ; le charbon s’est développé et a tué dans les délais habituels; ce charbon s’est développé seul, il a donné exclusivement des bactéridies immobiles, et nulle part on ne découvrait les vibrions de la putréfaction, reconnaissables à leur mobilité. Pourquoi cette expérience a-t-elle donné un résultat négatif? Pour le savoir, il faudrait la reprendre dans des conditions très variées.

M. Colin invoque encore, contre l’hypothèse de l’origine parasitaire des maladies charbonneuses, des considérations d’un autre ordre : il la trouve incompatible avec le mode d’évolution et les premières manifestations de la maladie, lorsqu’elle est spontanée. « Le charbon, dit-il, éclate soudainement, loin de tout foyer de contagion; il frappe un animal sur dix, sur cinquante, sur cent, et sans passer souvent à aucun autre. On le voit en hiver parfois, alors qu’il n’y a plus de mouches inoculatrices... C’est la maladie des animaux abondamment nourris, pléthoriques, qui consomment trop et ne font pas assez de déperditions. » Enfin M. Colin reproche à M. Pasteur de ne pas tenir compte de la modification préalable des milieux comme condition nécessaire du développement des organismes microscopiques, et il rappelle, à cet égard, que le sang charbonneux offre une altération chimique : il se fluidifie, les globules deviennent mous, s’agglutinent et laissent échapper une partie de leur contenu.

C’est donc la constitution d’un milieu favorable par le fait d’actions chimiques, analogues aux fermentations, qui serait, d’après M. Colin, la grande cause de l’apparition des proto-organismes dans les liquides de l’économie. Ainsi s’expliquerait la rareté relative des affections charbonneuses. Le charbon, en effet, est une maladie propre à certaines localités et qui n’apparaît guère spontanément ailleurs. « Singulière, s’écrie M. Colin, est cette bactérie charbonneuse qui existe en Beauce, en Auvergne, manque en Normandie et dans mille autres pays, bactérie capable, dit-on, de vivre des années dans le sol, les alimens et les poussières, alors qu’elle meurt au bout de quelques jours dans le sang dès les premiers momens de l’altération putride, bactérie que les malades sèment autour d’eux, sur des litières, des fourrages, dont les animaux sains usent ensuite cependant avec la plus complète impunité! » Des vibrioniens de toute espèce existent d’ailleurs constamment dans les