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REVUE. — CHRONIQUE.

moindre désordre local. Cette fîltration, qui est une opération des plus délicates, a nécessité l’emploi du plâtre et de l’aspiration par le vide. M. Colin a fait observer à ce propos que la filtration sur le sulfate de chaux peut altérer chimiquement le liquide qui renfermait les bactéridies et le priver ainsi de ses propriétés virulentes, si elles sont dues à un ferment soluble. Cette objection paraît en effet assez grave, et il serait à désirer qu’on pût trouver d’autres modes de filtration ; mais il ne faut pas oublier qu’en pareille matière aucune preuve isolée ne sera jamais absolument irréfutable, et que la certitude ne pourra résulter que d’un concours de preuves variées se corroborant mutuellement.

En tout cas, M. Pasteur a jugé l’ensemble de preuves qui vient d’être exposé suffisant pour justifier l’hypothèse de l’origine parasitaire des maladies charbonneuses. M. Bert lui-même, après avoir répété les expériences de M. Pasteur, est revenu sur ses premières assertions, et a reconnu que ce sont les bactéridies qui donnent sa virulence au sang charbonneux. Il a constaté que du sang frais chargé de bactéridies perdait toute son activité sous l’influence de l’oxygène comprimé ou de l’alcool absolu. Le résultat négatif de ses premières expériences s’explique en admettant que le sang sur lequel il opérait contenait, non pas les bactéridies filiformes, mais leurs germes, ou spores, ces corpuscules brillans, en apparence inertes, dans lesquels se résorbent à la fin les filamens translucides, et qui peuvent à leur tour donner naissance plus tard à des légions d’individus filiformes. Ces spores sont beaucoup plus difficiles à détruire que les filamens. La dessiccation et une élévation de température bien inférieure à 100 degrés font périr ces derniers, tandis que les spores résistant à des températures qui dépassent 100 degrés[1]. M. Pasteur s’est d’ailleurs assuré par des expériences spéciales que, dans un liquide qui contenait les bactéridies sous leurs deux états, l’alcool concentré ou l’oxygène comprimé à 10 atmosphères tuait sûrement tous les corps filiformes, tandis que les spores conservaient leur aspect et leur activité virulente. On comprend maintenant pourquoi le procédé d’analyse de M. Paul Bert donne des résultats tout opposés suivant qu’on l’applique à du sang frais, qui ne renferme que des bactéridies filiformes, ou bien à du sang déjà vieux, où se sont développés des corpuscules brillans.

On sait que, d’après M. Pasteur, les fermens proprement dits sont des êtres qui vivent sans air et empruntent l’oxygène dont ils ont besoin à des substances oxygénées toutes faites, qu’ils décomposent; ce sont des êtres anaérobies. La bactéridie au contraire est un être aérobie, elle absorbe l’oxygène libre et dégage de l’acide carbonique ; lorsqu’elle envahit le sang, elle le prive de l’oxygène que lui fournit la respiration

  1. . D’après M. Pasteur, les germes des bactéries des eaux communes supportent à l’état sec une chaleur de 120 à 130 degrés.