Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 22.djvu/950

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
944
REVUE DES DEUX MONDES.

élus, par les instructions qu’il donne, par les menaces dont les sous-préfets se font en son nom les organes, en les aggravant quelquefois d’intempérans commentaires, il laisse assez voir sa volonté d’engager l’administration tout entière, les fonctionnaires de tout ordre, dans la lutte qu’il soutient. Les maires eux-mêmes, nous devrions dire les maires les premiers, sont l’objet des rigueurs de M. le ministre de l’intérieur, et si quelque chose peut caractériser le système, c’est la récente destitution de M. Feray, maire d’Essonnes depuis trente ans, homme considérable dans l’industrie, entouré de l’estime publique, — mais radical, puisqu’il est du centre gauche et qu’il manque de respect au Bulletin des communes !

Cette tentative réussira ou ne réussira pas au point de vue électoral; dans tous les cas, elle manque de prévoyance et ne peut avoir que les plus dangereux effets pour les intérêts publics. L’administration française a été jusqu’ici une force parce qu’elle est restée, avec sa fixité, ses traditions, ses habitudes d’impartialité et de mesure, en dehors des mobilités de la politique. Elle a seule représenté parfois la vie permanente, ininterrompue du pays au milieu des révolutions qui passaient comme un ouragan à la surface. Si on prétend se servir d’elle comme d’un instrument de combat, si on la compromet dans tous les conflits de partis, elle subira nécessairement les fluctuations de la politique. Ce qu’un ministère aura fait, un autre ministère pourra le défaire au risque d’exposer le chef de l’état à nommer et à révoquer, ou à nommer de nouveau le même fonctionnaire suspect aujourd’hui, digne de confiance demain. L’administration, déjà diminuée aux yeux des populations, ne sera plus ce qu’elle a été; on aura affaibli sans profit, sous une inspiration de circonstance, un des plus puissans ressorts du pays. Là encore croit-on montrer une vraie prévoyance conservatrice?

C’est une erreur du gouvernement. Le ministère cède aux obsessions de ceux qui se croient intéressés à pouvoir disposer pour une candidature de tous les fonctionnaires d’un arrondissement, et en cédant aux obsessions se figure-t-il satisfaire tout ce monde qui le presse, dont il est le protecteur ou le protégé? Qu’il se détrompe : on recueille le bénéfice des complaisances du gouvernement, on reçoit le prix de l’alliance dans la campagne qui se prépare, et au besoin on décline toute solidarité dans les affaires du jour. Ces alliés qu’on croit combler sont les premiers à trouver que décidément rien ne marche, que le 16 mai ne tient pas ses promesses. Il est vrai que légitimistes et bonapartistes, se plaignant à la fois, les uns parce que les affaires de la prochaine restauration ne vont pas assez vite, les autres parce qu’on ne fait pas tout pour l’empire, ne sont pas précisément d’accord, et que M. le maréchal de Mac-Mahon doit avoir quelque peine à protéger ces « hommes d’ordre contre leurs propres entraînemens, » comme il le disait l’autre jour à Bourges. Entre ces étranges coalisés, qui ont d’égales exigences, les