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REVUE. — CHRONIQUE.

Est-ce pourtant de l’habileté, de la prudence, de s’engager dans une voie où ces questions se multiplient à chaque pas? Et ce n’est pas là malheureusement aujourd’hui la seule forme de l’arbitraire. Le gouvernement exerce sans contredit un droit en déférant aux tribunaux les délits de presse; il remplit un devoir en poursuivant les injures, les offenses contre le chef de l’état, les excitations révolutionnaires. Jusque-là rien de plus simple; mais il y a une chose plus extraordinaire. Voici un journal qui paraît à Versailles ; il publie, à l’occasion du voyage de M. le président de la république à Bourges, un article qui devait être coupable, puisqu’il a été frappé par la justice, qu’on peut considérer néanmoins à première vue comme empreint d’une certaine modération : il est condamné sévèrement ! Que voit-on d’un autre côté? Chaque soir, chaque matin, il y a des journaux qui livrent au mépris les institutions, qui prodiguent les excitations aux coups d’état, à la violation des lois, qui publiquement discutent sur les moyens de se défaire du régime existant, qui attribuent injurieusement à M. le maréchal de Mac-Mahon l’intention de ne tenir aucun compte du vote qu’il demande au pays ; ces journaux ne sont ni condamnés ni même poursuivis ! Et il faut tout dire, le ministère serait assez empêché de poursuivre ces délits incessans, puisque lui-même, devenu journaliste, il fait afficher dans tous les villages le Bulletin des communes, où ii n’inscrit pas seulement les actes officiels, où il se livre à de véritables effervescences de polémique. Il y a donc deux mesures, deux justices, l’une pour les ennemis, l’autre pour les amis ou les alliés! Ceux-ci peuvent tout dire dès qu’ils défendent la politique du 16 mai et le ministère. Ces inégalités, ces subtilités d’arbitraire, ces procédés, sont-ils bien de nature à relever l’autorité morale du gouvernement, à servir la politique conservatrice? Que veut-on que pense le pays en voyant ce qu’on fait de ce qu’il y a de plus conservateur au monde, le respect de la loi?

La vérité est que le gouvernement se laisse entraîner : il subordonne tout à une préoccupation unique, celle du succès dans les élections, et il ne sert pas plus l’intérêt conservateur dans sa manière d’entendre l’administration que dans sa justice distributive à l’égard des délits de la presse. Que le gouvernement prétende avoir dans les départemens des agens dévoués, pénétrés de sa pensée, il ne dépasse point assurément son droit rigoureux; il peut l’exercer légèrement, sans tenir compte des intérêts permanens du pays ou des positions laborieusement conquises, il n’excède réellement ni son droit ni son pouvoir. Il est même fondé à ne point souffrir que les fonctionnaires en général se servent de l’autorité qui leur est confiée pour exercer à son détriment une influence active, ostensible dans les mouvemens électoraux; mais il est évident que le ministère ne s’en tient pas là, qu’il se propose d’organiser une vaste pression sur tout ce monde dépendant de l’état. Par les révocations et les déplacemens qu’il multiplie, par le choix des nouveaux