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petite flûte. — Il croyait avoir entendu un sifflet ; à ces mots, son visage se rasséréna, et continuant à se ronger le poing, comme c’était son habitude aux momens difficiles : — La petite flûte ! reprit-il, en êtes-vous bien sûr ? je ne me souviens pas d’avoir mis la petite flûte ! — Halévy, d’un naturel cent fois plus ombrageux, n’était point si commode à remonter, et lorsque ces défaillances le prenaient, au bon Saint-Georges incombait le devoir de le secourir avec la double autorité du collaborateur et de l’ami. En ce sens, je m’explique la présence du buste de Saint-Georges au foyer de l’Opéra. Le foyer d’un théâtre est une galerie privée contenant les portraits des maîtres et en même temps ceux des amis et des cliens de la maison. Saint-Georges fut par excellence un de ces derniers ; toute sa vie s’employa aux choses d’opéra ; librettiste, membre perpétuel du jury du Conservatoire, président à deux reprises de la Société des auteurs dramatiques, sa personnalité plus encore peut-être que son talent lui marque une place distinguée parmi ses contemporains, et c’est justement cette active et sympathique personnalité que le buste de l’Opéra vient consacrer.

Assez parlé du poème et du poète, abordons un peu la partition. C’est consciencieux, élevé, beau quelquefois, souvent lourd. Halévy aime la pompe, il peint en musique de grandes fresques à la Primatice ; songeons aux triomphes du premier et du troisième acte de la Juive, aux processions de Guido et Ginevra, à ce débarquement de la reine de Chypre à Nicosie. Comme la Belle guerrière du Maure de Venise, la fiancée du roi Lusignan met pied à terre au bruit des fanfares et des cloches sonnant à toute volée. « Tous les corps de l’état vont au-devant de la reine lui offrir leurs hommages. » Ainsi s’exprime le libretto dans un langage dont la candeur ne laisse rien à désirer : tous les corps de l’état. C’est à se croire en plein Louvre sous l’empire un jour d’ouverture des chambres ; se figure-t-on la cour de cassation, l’Institut et le tribunal de commerce de l’île de Chypre au XVe siècle ? Halévy n’en prend pas moins fort au sérieux l’anachronisme, et sa musique, intrépidement convaincue, solide au poste, complète à souhait cet ensemble décoratif. N’insistons pourtant pas trop sur ce côté ; il y a là des beautés d’un autre ordre, et le pathétique y tient une large place, notamment dans l’air de Catarina au second acte. Je citerais bien aussi le cantabile du fameux duo des deux hommes au troisième, mais ce morceau n’en finit pas : quand le baryton a terminé son couplet, le ténor le recommence, et cette éternelle paraphrase du même motif vous devient d’un mortel ennui. Ajoutez à cela l’inconvénient d’une situation frisant le ridicule et qui pour l’emphase chevaleresque du mouvement vous rappelle ces sujets de pendules à la mode sous la restauration. Halévy a l’instinct de la symétrie, c’est un phraseur, il lui faut des périodes qui se pondèrent, et nul attrait ne le détourne de cet impérieux besoin d’équilibrer qui fait la monotonie et la lourdeur de son style. Ainsi dans