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à la pratique, produira au théâtre la plus lamentable des rapsodies! Robert Schumann n’a écrit qu’un seul opéra : Geneviève, représentée trois fois à Leipzig en 1850, et dont les diverses reprises, essayées depuis à Weimar, à Vienne, à Munich, ont partout misérablement échoué en dépit de l’intérêt croissant qui s’attache au compositeur de tant de belles pièces instrumentales.

C’est que tous ces symphonistes, Mendelssohn pas plus que Schumann, et, dans un ordre tout moderne et de beaucoup inférieur, M. Massenet pas plus que M. Saint-Saëns, lorsqu’ils jugent une œuvre dramatique ou qu’ils font eux-mêmes du théâtre, ne songent à se rendre compte des conditions toutes spéciales du genre. Halévy, qui fut sa vie entière, comme Auber et comme Meyerbeer, une nature de théâtre, m’amène à traiter la question. Amusez-vous à parcourir la correspondance de Mendelssohn, et vous retrouverez, sous forme d’une lettre écrite de Paris au poète Immermann en 1832, un curieux pendant à l’article de Schumann. Il s’agit cette fois de Robert le Diable, et je défie quiconque a le moindre sens du goût et des convenances de ne pas éprouver un certain haut-le-cœur à voir un jeune musicien qui se propose d’aborder le théâtre s’exprimer de ce ton. Mauvais signe, pour un futur compositeur d’opéras, d’afficher de pareils mépris : celui-là, fùt-il cent fois un symphoniste de génie, ne marquera jamais son passage au théâtre qui se montre incapable de rien découvrir dans des ouvrages tels que la Muette, les Huguenots ou Robert le Diable, et qui, placé devant des maîtres comme Meyerbeer, Auber ou Verdi, les appelle des « vaudevillistes » et se délecte à leur contester l’une après l’autre toutes les qualités morales et techniques, comme on arrache ses épaulettes et ses galons au militaire qu’on veut dégrader. Et savez-vous à quoi nous conduisent ces belles infatuations pédantesques ? Au dilettantisme entre amis, à faire des opéras de cabinet que la coterie proclame des miracles et dont le public ignore jusqu’aux titres, mentionnés seulement dans les catalogues. Un jour, il y a de cela des années, le petit-neveu de Duni, compositeur dont le buste en marbre figure au foyer de l’Opéra-Comique, se présente au théâtre pour y réclamer ses entrées. — Vos entrées ! lui répond le directeur, qui se trouvait alors par occasion être un homme d’esprit; tout de suite je vous les accorde, à une condition: c’est que vous allez, là, me dire par cœur un motif, un seul de votre arrière-grand-oncle, sans cela, rien de fait! — Ainsi volontiers agirait-on vis-à-vis de ces ravageurs du domaine public : Vous prétendez, vous Robert Schumann, que la partition des Huguenots n’est qu’un amalgame de vulgarités et de bévues, et vous nous affirmez, vous Félix Mendelssohn-Bartboldy, que Robert le Diable est une œuvre à faire pitié : soit, j’admets la justesse et la profondeur de l’assertion, à une condition pourtant: c’est qu’un de ces soirs dans cette foule énorme et décidément incorrigible qui depuis plus de quarante ans se passionne pour de semblables avortemens, il se trouvera un seul