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tour, sur une terrasse un peu inférieure, s’élève la chapelle, qui a conservé, outre son porche en saillie, des débris de boiseries intérieures, son maître-autel, sa chaire en maçonnerie, et tout un peuple grimaçant de statuettes et de figurines mutilées. La crypte renferme un ossuaire où l’on a cessé depuis longtemps de maintenir un rangement symétrique ; la bise qui pénètre en hurlant par l’ouverture béante du caveau s’en donne à cœur joie au travers de ces pauvres ossemens : aussi maint lézard qui s’était cru, en ce lieu, à l’abri de toute aventure, s’enfuit-il épouvanté au soubresaut inattendu d’un crâne qu’a réveillé, avant l’heure du jugement dernier, le choc grinçant d’un fémur.

Le tout, village et burg, est enserré entre deux torrens écumeux qui se précipitent avec fracas par une double gorge, épuisant toutes les formes connues et inconnues de la cascade et de la cascatelle, pour s’aller réunir au bas de la montagne dans un lit unique de cailloux à côté de superbes plants de vigne qu’on a bien du mal à protéger contre leurs atteintes. Plus haut se dessinent, en un relief noir, les immenses forêts qui font mine de vouloir monter à l’assaut du cône terminal de la Pierre-à-Voie ; mais celui-ci, fier de sa nudité, n’accepte d’autre parure que celle des neiges hivernales ; il tient en respect la petite avant-garde de plus et de mélèzes qui se hissent audacieusement jusqu’à lui, si bien que d’en bas ces quelques troncs détachés en colonne d’attaque au pied du rocher ont un peu l’air de soldats cramponnés, en grand péril de dégringolade, aux murs sourcilleux d’une forteresse.

Vers la plaine, la perspective qu’on embrasse des ruines du burg ne le cède qu’en étendue à celle dont on jouit du haut de Valeria. Le panorama, mieux circonscrit, prend même une grandeur plus âpre et plus sauvage ; le regard s’appuie de toutes parts à des arêtes merveilleusement fermes et soutenues qui diminuent l’effort de vision et fixent avantageusement le point du spectacle. La vallée du Rhône apparaît là dans son entière simplicité de lignes ; depuis la fissure des gorges de Saillon jusqu’à la haute dépression de Salvan, on distingue nettement le dessin de la plaine et de la montagne, et l’œil se repaît à l’aise de tous les contrastes. En bas, l’été règne déjà sans partage : les bois ont toute leur couronne de verdure, les blés et les seigles commencent à jaunir, les ceps feuillus montent vigoureusement aux échalas ; mais en haut subsiste mainte trace de l’hiver : la neige s’étale en larges plaques sur les parties planes des sommets, et dans les rigoles, où durant six mois elle a eu tout le temps de se durcir, elle résiste encore victorieusement à l’action dissolvante du fœhn et de la pluie.

Chaque jour néanmoins quelque pan de névé s’écroule ; dans deux ou trois heures, quand le soleil aura pris possession de l’espace, un