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où siégeait la haute cour. Brissot rédigea lui-même un acte d’accusation portant sur seize chefs. La cour d’Orléans s’était montrée jusque-là impartiale et juste. De Lessart eût pu sans doute y faire triompher son innocence, si ce qu’on appelait alors la justice du peuple lui en eût laissé le temps.

Les girondins étaient les maîtres dans l’assemblée, et, suivant la doctrine parlementaire, il fallait leur donner le pouvoir ; mais les lois du temps ne permettaient pas aux députés d’être ministres. Le roi, décidé encore à céder au courant, dut composer un cabinet parmi les amis des girondins. Ce fut le cabinet des sans-culottes, dont les deux hommes les plus connus sont Roland, chargé de l’intérieur, et le général Dumouriez, qui devait le portefeuille des affaires étrangères à ses relations plus qu’à son expérience diplomatique. Cependant Dumouriez avait voyagé autrefois pour le compte du roi, et avait publié en 1791 un Mémoire sur les affaires étrangères, ce qui, dans une certaine mesure, pourrait expliquer, mais non excuser le choix de Louis XVI. ans ce Mémoire, il esquissait à grands traits les principes de la révolution en matière de politique étrangère : s’abstenir de conquêtes, ne faire que des guerres défensives, n’avoir pas d’alliés particuliers, car « un grand peuple, un peuple juste et libre, est allié naturel de tous les peuples et ne doit pas avoir d’alliances particulières qui le lient ou non aux intérêts et aux passions de tel ou tel peuple. » On remarquera que, si Dumouriez fut peu fidèle à ses deux premiers principes, il se conforma strictement au dernier : il put se féliciter de n’avoir jamais eu d’alliés. — Le Mémoire du général contenait pourtant de sages projets de réformes relativement aux agens de l’intérieur et de l’extérieur, et notamment en ce qui concerne l’organisation des ambassades. Il voulait que les secrétaires fussent tous nommés par l’état et non par l’envoyé. Il faut également lui rendre cette justice qu’il n’allait pas jusqu’à demander, comme certains députés, la suppression des secrets d’état, mais il ne croyait pas qu’il fût nécessaire de connaître son métier pour être un diplomate. « Peu importe, pensait-il, que nos représentans soient sans expérience,… c’est la majesté de la nation qui donnera du poids à nos négociateurs. »

Arrivant au pouvoir avec de pareilles idées, on comprend que Dumouriez ne fit rien pour s’attacher les anciens commis de Vergennes et de Montmorin, qui eussent pu suppléer à sa propre insuffisance. Il apporta la révolution dans les bureaux, qui jusqu’alors avaient été respectés. Hennin, Rayneval, et plus de la moitié des commis sont révoqués ou mis à la retraite. L’ancienne organisation fait place à six bureaux, au-dessus desquels plane un directeur-général des affaires étrangères ; ce haut poste, qui avait été momentanément