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s’arrêta sur le ministre de l’intérieur, à qui avait été confié par intérim le portefeuille des affaires étrangères, et qui en fut définitivement chargé à la fin du mois de novembre. Valdec de Lessart était un honnête homme, que sa médiocrité surtout avait fait réussir : il était de ces gens qui arrivent aux plus hautes fonctions par le seul motif que, ne portant ombrage à personne, ils n’ont pas trouvé sur leur chemin les inimitiés et les jalousies qui arrêtent trop souvent les intelligences d’élite. — Les circonstances dans lesquelles M. de Lessart arrivait au pouvoir eussent épouvanté un Richelieu. Les émigrés, massés sur nos frontières de l’est, menaçaient d’envahir la France. La cour, harcelée par les frères du roi d’un côté, par le peuple et l’assemblée de l’autre, était accusée par les uns de faiblesse, par les autres de trahison. La vérité est qu’aux Tuileries on poussait moins les étrangers à la guerre que l’assemblée ne le croyait. Le roi rêvait la réunion d’un congrès européen, où il aurait apparu comme médiateur entre l’Europe et la France. Et en attendant il louvoyait entre les deux. Pour obéir à l’assemblée, il adressait des appels pressans et menaçans aux émigrés, qu’il invitait instamment à revenir; en même temps il entretenait une correspondance secrète avec Coblence. Beaucoup de courtisans, chez qui le patriotisme était étouffé par le sentiment de la fidélité au roi, ne dissimulaient point leur vœu de provoquer une intervention armée; la reine était d’accord avec eux, ce qui n’empêchait point qu’une communication officielle fût adressée à l’électeur de Trêves pour demander la dispersion des rassemblemens d’émigrés.

Le malheureux de Lessart, pendant les quelques mois qu’il fut ministre, devait s’expliquer presque tous les jours devant l’assemblée, montrer sa correspondance au comité diplomatique, et laisser les commissaires pénétrer jusque dans ses bureaux.

Le 10 mars 1792, il fut mis en accusation par les girondins. On lui reprochait d’avoir dissimulé une dépêche de l’empereur, on lui faisait un crime de n’avoir pas renseigné les représentans sur les affaires d’Avignon. Les Brissot, les Vergnaud, les Isnard, tonnaient contre le ministre, dont ils se souciaient peu au fond, mais derrière lequel ils voulaient atteindre le roi. De Lessart fut décrété d’accusation sans même avoir été entendu. Dès l’issue de la séance, Dumas courut l’avertir. « Sauvez-vous, lui dit-il; gardez-vous de compter sur la protection des lois. Votre perte est nécessaire aux desseins de la faction : elle est résolue et certaine. — Non, répondit le ministre, je dois à mon pays, au roi, à moi-même, de faire éclater au tribunal de la haute cour l’innocence et la régularité de ma conduite. » En effet, après avoir adressé une protestation au président de l’assemblée, il se livra lui-même et fut dirigé sur Orléans,