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Gaule pacifiée, le parti romain maître partout de la situation, les cantons plus occupés à se jalouser qu’à s’unir contre lui.

Jamais pourtant l’œuvre capitale de sa carrière conquérante n’avait été plus gravement menacée. Il faut se défier d’un peuple naturellement remuant, quand il est si calme. Si le proconsul eût été bien informé, il eût appris que, depuis une année, au fond des forêts, il y avait des rassemblemens nocturnes où l’on complotait la délivrance de la patrie gauloise, où l’on concertait les mesures à prendre, où l’on semblait d’accord que mieux valait mourir que de perdre la gloire et la liberté léguées par les vieux pères.

On peut toutefois se demander pourquoi la coalition gauloise ne s’était pas formée plus tôt. D’où venait donc l’incurie ou l’imprévoyance avec laquelle la Gaule s’était laissé démanteler au nord à l’ouest, au sud, avant d’organiser une action commune de résistance? La seule explication que l’on puisse donner de cette inaction prolongée nous est fournie par les indices que César laisse échapper au cours de son récit. Il est question mainte fois de chefs de cité déposés par leurs concitoyens, rétablis par lui. Les conseils-généraux qu’il convoque et où les chefs de la Gaule se rendent en nombre, comme s’ils eussent déjà reconnu sa suzeraineté, eussent été impossibles, s’il n’avait pas rattaché à sa cause au moins une grande partie du patriciat, Il n’est donc pas douteux, surtout quand nous le voyons se plaindre des changemens que des factions plébéiennes voulaient introduire dans le gouvernement des cités, qu’il adopta en Gaule une ligne de conduite diamétralement opposée à celle qu’il suivait à Rome même. Là il était à la tête du parti populaire, hostile au patriciat sénatorial; en Gaule, il chercha ses amis au sein des vieilles familles gouvernantes, et les soutint tant qu’il put contre le flot montant de la démocratie. Il est donc naturel de penser que longtemps de puissantes influences locales paralysèrent dans beaucoup de cantons les efforts du parti unitaire antiromain. De plus, il y avait toujours cette terrible question de l’hégémonie future qui divisait encore les patriotes les plus résolus. Il était évident que le canton qui grouperait autour de lui toutes les forces défensives de la Gaule, celui dont le chef commanderait l’armée nationale et la mènerait à la victoire, deviendrait par le fait même le canton souverain. Cette préoccupation fatale devait aussi retarder l’explosion sur un point donné du territoire. N’était-il pas à craindre, — et les Carnutes, d’après César (VII, 2), expriment clairement cette appréhension, — que celui des cantons qui prendrait l’initiative de l’insurrection générale, en butte aux défiances des autres, ne fût abandonné à lui-même et ne dût porter seul le poids d’une guerre inégale? Ajoutons enfin que les événemens avaient forcé les Gaulois à rabattre de leur extrême confiance en eux-mêmes.