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sur le sol nu. Les maisons particulières, celles même des riches et des chefs, étaient encore très rustiques[1]. Le tugurium rond ou oval, plus ou moins enfoui, bâti en charpente grossière et en argile, couvert de chaume ou de roseau, avec un trou au milieu du toit pour laisser passer la fumée, telle était la demeure ordinaire de nos ancêtres. Les habitations des chefs étaient plus spacieuses, mais construites de même, ce qui explique pourquoi il n’en est pas resté un seul spécimen avéré[2].

un mouvement commercial d’une importance croissante s’était établi de la Méditerranée à l’Océan, profitant surtout du cours des fleuves, remontant le Rhône et la Saône, descendant la Loire et la Seine, rejoignant les caboteurs de l’Océan et de la Manche, et venant mourir sur les confins de la Belgique actuelle, où l’on n’avait encore ni le goût des denrées étrangères ni les moyens de les troquer contre de l’argent ou des produits indigènes. Chalon et Mâcon étaient des entrepôts considérables. Un des objets de trafic les plus recherchés, c’était le vin, que les Gaulois aimaient à la folie et qu’on leur faisait payer très cher. Il ne leur était pas encore venu à l’idée que les trois quarts de leur propre territoire offraient un sol merveilleusement propre à la culture de la vigne. Cette culture ne s’introduisit que lentement, même après la conquête. Strabon affirme que la vigne ne croît plus qu’avec peine au nord des Cévennes. Mais les propriétaires gaulois étaient déjà assez riches pour se procurer la boisson-reine et laissaient le petit peuple s’abreuver d’hydromel, d’une espèce de bière et probablement aussi de cidre fait avec le jus des fruits sauvages. Il y avait même des nobles opulens et faisant parade de leur richesse, témoin ce Luern, chef

  1. Ne dirait-on pas qu’il y a dans ce contraste entre la pauvreté des demeures et l’abondance alimentaire que nous avons signalée un rapport étroit avec cette loi de l’économie domestique française, que l’on peut vérifier encore de nos jours et que voici : Comparé à beaucoup d’autres peuples, le Français des classes pauvres et moyennes fait proportionnellement plus de sacrifices pour se procurer une alimentation savoureuse et variée, de bons lits, une boisson stimulante, que pour habiter une belle maison. Nos grands-pères évaluaient à un dixième, tout au plus un huitième, la fraction du revenu annuel qu’un homme bien avisé devait consacrer au loyer de sa maison; à la même époque, en Hollande, en Angleterre, cette fraction atteignait le cinquième ou même le quart. Dans nos grandes villes françaises modernes, la proportion classique est depuis longtemps dérangée, mais elle existe encore dans les petites villes et les campagnes reculées. Nos vieux Gaulois paraissent avoir vécu assez largement dans de véritables bouges.
  2. Toutefois il est encore des districts montagneux en France où l’on ne connaît guère d’autre habitation, et même ce genre de tanières persista longtemps dans nos campagnes aujourd’hui les plus aisées. J’ai connu, dans mon enfance, des vieillards qui se rappelaient très bien avoir va dans la leur, au centre du pays de Caux, des cabanes rondes, couvertes de chaume, sans cheminée ni fenêtres, et la description qu’ils en faisaient ressemble beaucoup à celle que nous donnons ici de la chaumière gauloise d’après les auteurs les plus compétens.