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certaines figures magiques, entre autres des cercles concentriques sur lesquels plus tard on greffa toute une métaphysique. C’est à leur préoccupation de la vie comme du phénomène divin par excellence qu’il faut sans doute rattacher la tradition qui a tant intrigué les historiens latins de l’œuf miraculeux, produit par la bave des serpens entrelacés et qu’il fallait attraper au vol au moment où leur souffle le lançait en l’air. Encore fallait-il s’enfuir au plus vite et mettre une rivière entre soi et les serpens acharnés à la poursuite du ravisseur; autrement on était dévoré. Cette singulière histoire a tout l’air d’un vieux mythe solaire transformé à l’époque de la décadence dans un intérêt de charlatanisme. Le soleil sort de la mer écumante, fille des fleuves, et doit se dégager des nuages de l’aurore pour verser sur le monde la lumière, la chaleur et la fécondité. A son tour l’œuf, enveloppe de la vie qui va s’en dégager, devait comme le gui passer pour un phénomène divin et porter bonheur. Le soleil était comme un grand œuf, et l’œuf comme un petit soleil. On crut donc à un œuf imaginaire, insaisissable, introuvable, qu’on sut pourtant trouver et saisir pour le vendre fort cher. Pline vit un de ces œufs miraculeux, et la description qu’il en donne fait penser à quelque poulpe marin pétrifié. On en découvrit un dans les poches d’un pauvre chevalier du pays des Voconces (Dauphiné) engagé dans un procès. L’empereur Claude fit mettre à mort sur-le-champ le crédule possesseur de ce talisman, ce qui ne dut pas accréditer la foi dans ses vertus surnaturelles.

Un autre grand moyen d’influence de l’ordre druidique, c’est que dans son sein se trouvaient les bardes ou chantres des traditions héroïques. Ils formaient en quelque sorte le clergé inférieur. C’est à la mémoire seule qu’ils osaient confier le dépôt des chants nationaux, l’écriture leur semblait profane. Ce trait dénote aussi une très haute antiquité. Il dut y avoir un moment où l’écriture, moyen nouveau de fixer la pensée, fit l’effet d’une innovation profane. César nous dit que pourtant les druides se servaient de l’alphabet grec dans leurs relations ordinaires. Ils en avaient sans doute puisé la connaissance auprès des Phocéens de Marseille et sur les côtes du Nord, où les vaisseaux des pays méditerranéens allaient chercher l’étain, l’ambre, les viandes salées et les pelleteries. Cela prouve chez eux le désir de conserver la supériorité intellectuelle et confirme notre supposition d’une certaine tendance à la domination théocratique des Gaules, surtout à l’époque voisine de la conquête où le sentiment de l’unité nationale, le désir de lui donner une forme organique semble avoir été très vif au sein des populations gauloises. Mais nous ne croyons pas à une ancienne théocratie renversée un siècle ou deux avant notre ère par l’a prépondérance de l’aristocratie guerrière. Cette supposition n’a d’autre fondement que