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donc transportés dans la terre de Van-Diémen, qui devint en toute réalité un pays de forçats, si bien que, quelque vingt ans après, il fallut chercher encore un nouvel établissement pour les jeunes générations de criminels. Cette fois on alla d’un bond presqu’à l’extrême nord-est, et l’on s’arrêta à Moreton-Bay, près de l’emplacement de la ville de Brisbane, dans la colonie de Queensland. Plus tard enfin, et presque de nos jours, au moment même où les autres colonies demandaient et obtenaient qu’on les débarrassât de leurs convicts, l’Australie de l’ouest, plus jeune de date et moins favorisée que ses sœurs par la nature et les circonstances, ayant peine à vivre par ses seules ressources, demanda comme une grâce qu’on voulût bien lui envoyer des convicts afin qu’elle pût engraisser un peu sa maigreur de l’argent alloué par le gouvernement anglais pour leur entretien, et obtenir de leur travail sans salaire les ouvrages d’utilité publique que sa pauvreté ne lui permettait pas de faire exécuter par le travail libre de ses citoyens. Toutes les colonies australiennes ont donc été d’abord des colonies pénitentiaires, à l’exception de deux, l’Australie du sud et Victoria, et encore cette dernière l’a-t-elle été un instant avec l’établissement de Port-Phillip. C’est aussi en toute vérité que la Nouvelle-Galles du sud se glorifie aujourd’hui du titre de mère des colonies australiennes, car, on le voit, elles ne furent toutes à l’origine que des prolongemens et des développemens de l’établissement de Port-Jackson.

Peu de choses dans l’histoire du monde sont mieux faites pour donner raison aux optimistes que ce passé australien. Oui, cela est vrai, il ne faut rien mépriser ici-bas, car il n’est rien qui, selon les circonstances, ne puisse tourner au bénéfice du progrès social et de la morale, et de ce fait l’histoire des colonies australiennes en général, et particulièrement de la Tasmanie, est une preuve irréfutable. On peut dire sans exagération aucune que cette dernière colonie est une création des convicts, et que le bagne a été pour elle une source de bénédictions. Comptons un peu les biens dont les transportés ont doté cette terre, et voyons si la plus laborieuse probité aurait fait autant, aussi bien et à meilleur marché. Aujourd’hui encore il n’y a dans l’ex-terre de Van-Diémen que deux villes sérieuses : une dans le nord, sur le tamar, Launceston, une dans le sud, sur le Derwent, Hobart-Town. Or ces deux villes sont les deux établissemens pénitentiaires qui furent fondés à l’origine lorsqu’il s’agit de débarrasser la Nouvelle-Galles du sud d’une partie de ses transportés, et elles sont reliées l’une à l’autre par une belle route de 120 milles qui est l’ouvrage des convicts. Tous les voyageurs se sont chargés de nous apprendre ce que sont les routes en Australie, un simple sentier ouvert à travers le bush, ou plutôt une simple ornière creusée par les roues des carrioles ; lorsque cette ornière est devenue